Page:Louis Antoine de Bougainville - Voyage de Bougainville autour du monde (années 1766, 1767, 1768 et 1769), raconté par lui-même, 1889.djvu/95

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’un de ces deux chambekins s’étant perdu, comme nous l’avons dit, en entrant dans la rivière, il fallait bien en sauver l’équipage et lui donner les secours que sa situation exigeait.

Les deux chambekins étaient sortis d’Espagne depuis que les Jésuites y avaient été arrêtés : ainsi on ne pouvait empêcher que cette nouvelle ne se répandît. Un officier de ces bâtiments fut sur-le-champ envoyé au marquis de Bucarelli et arriva à Buenos-Ayres le 9 juillet à dix heures du soir. Le gouverneur ne balança pas : il expédia à l’instant à tous les commandants des places un ordre d’ouvrir leurs paquets et d’en exécuter le contenu avec la plus grande célérité. À deux heures après minuit, tous les courriers étaient partis et les deux maisons des Jésuites à Buenos-Ayres investies, au grand étonnement de ces Pères, qui croyaient rêver lorsqu’on vint les tirer du sommeil pour les constituer prisonniers et se saisir de leurs papiers. Le lendemain, on publia dans la ville un ban qui décernait peine de mort contre ceux qui entretiendraient commerce avec les Jésuites, et on y arrêta cinq négociants qui voulaient, dit-on, leur faire passer des avis à Cordoue.

Les ordres du roi s’exécutèrent avec la même facilité en toutes les villes. Partout les Jésuites furent pris à l’improviste et on mit la main sur leurs papiers. On les fit aussitôt partir de leurs différentes maisons, escortés par des détachements de troupes, qui avaient ordre de tirer sur ceux qui chercheraient à s’échapper ; mais on n’eut pas besoin d’en venir à cette extrémité. Ils témoignèrent la plus parfaite résignation, s’humiliant sous la main qui les frappait et reconnaissant, disaient-ils, que leurs péchés avaient mérité le châtiment dont Dieu les punissait. Les Jésuites de Cordoue, au nombre de plus de cent, arrivèrent à la fin d’août à la Encenada, où se rendirent peu après ceux de Corrientes, de Buenos-Ayres et de Montevideo. Ils furent aussitôt embarqués, et ce premier convoi appareilla, comme nous l’avons déjà dit, à la fin de septembre. Les autres pendant ce temps étaient en chemin pour venir à Buenos-Ayres attendre un nouvel embarquement.

On y vit arriver le 13 septembre tous les corrégidors et un caci-