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des peuplades ; on y devait trouver leurs papiers les plus importants. Le marquis de Bucarelli se résolut à y envoyer un officier de confiance qu’il nomma lieutenant du roi en cette place, et que, sous ce prétexte, il fit accompagner d’un détachement de troupes.

Il restait à pourvoir à l’exécution des ordres du roi dans les missions, et c’était le point critique. Faire arrêter les Jésuites au milieu des peuplades, on ne savait pas si les Indiens voudraient le souffrir, et il eût fallu soutenir cette exécution violente par un corps de troupes assez nombreux pour parer à tout événement. D’ailleurs, n’était-il pas indispensable, avant que de songer à en retirer les Jésuites, d’avoir une autre forme de gouvernement prête à substituer à la leur, et d’y prévenir ainsi les désordres de l’anarchie ? Le gouverneur se détermina à temporiser, et se contenta pour le moment d’écrire dans les missions qu’on lui envoyât sur-le-champ le corrégidor et un cacique de chaque peuplade, pour leur communiquer des lettres du roi. Il expédia cet ordre avec la plus grande célérité, afin que les Indiens fussent en chemin et hors des Réductions avant que la nouvelle de l’expulsion de la Société pût y parvenir. Par ce moyen il remplissait deux vues, l’une, de se procurer des otages qui l’assureraient de la fidélité des peuplades lorsqu’il en retirerait les Jésuites ; l’autre, de gagner l’affection des principaux Indiens par les bons traitements qu’on leur prodiguerait à Buenos-Ayres, et d’avoir le temps de les instruire du nouvel état dans lequel ils allaient entrer.

Tout avait été concerté avec le plus profond secret, et quoiqu’on eût été surpris de voir arriver un bâtiment d’Espagne sans autres lettres que celles adressées au général, on était fort éloigné d’en soupçonner la cause. Le moment de l’exécution générale était combiné pour le jour où tous les courriers auraient eu le temps de se rendre à leur destination, et le gouverneur attendait cet instant avec impatience, lorsque l’arrivée des deux chambekins du roi, l’Andalous et l’Aventurero, venant de Cadix, faillit faire échouer toutes ces mesures. Il avait ordonné au gouverneur de Montevideo, au cas qu’il arrivât quelques bâtiments d’Europe, de ne pas les laisser communiquer avec qui que ce fût avant que de l’en avoir informé ; mais