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la plus forte dépense allait à l’entretien des églises, construites et ornées avec magnificence. Le reste du produit de la terre et tous les bestiaux appartenaient aux Jésuites, qui, de leur côté, faisaient venir d’Europe les outils des différents métiers, des vitres, des couteaux, des aiguilles à coudre, des images, des chapelets, de la poudre et des fusils. Leur revenu annuel consistait en coton, suifs, cuirs, miel, et surtout en maté, plante mieux connue sous le nom d’herbe du Paraguay, dont la Compagnie faisait seule le commerce, et dont la consommation est immense dans toutes les Indes espagnoles, où elle tient lieu de thé.

Le curé habitait une maison vaste proche de l’église ; elle avait attenant un corps de logis dans lequel étaient les écoles de musique, de peinture, de sculpture, d’architecture, et les ateliers des différents métiers ; l’Italie leur fournissait les maîtres pour les arts, et les Indiens apprennent, dit-on, avec facilité.

Ce curé se levait à cinq heures du matin, prenait une heure pour l’oraison mentale, disait sa messe à six heures et demie, on lui baisait la main à sept heures, et l’on faisait alors la distribution publique d’une once de maté par famille. Après sa messe, le curé déjeunait, disait son bréviaire, travaillait avec les corrégidors, dont les quatre premiers étaient ses ministres, visitait le séminaire, les écoles et les ateliers ; s’il sortait, c’était à cheval et avec un grand cortège ; il dînait à onze heures seul avec son vicaire, et restait renfermé dans son intérieur jusqu’au rosaire.

Le peuple était depuis huit heures du matin distribué aux divers travaux, soit de la terre, soit des ateliers, et les corrégidors veillaient au sévère emploi du temps ; les femmes filaient du coton ; on leur en distribuait tous les lundis une certaine quantité qu’il fallait rapporter filé à la fin de la semaine ; à cinq heures et demie du soir, on se rassemblait pour réciter le rosaire et baiser encore la main du curé ; ensuite se faisait la distribution d’une once de maté et de quatre livres de bœuf pour chaque ménage qu’on supposait être composé de huit personnes ; on donnait aussi du maïs. Le dimanche on ne travaillait point, l’office divin prenait plus de temps ; ils