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empêcher que sept familles l’accompagnassent, et il les établit aux Maldonades, où elles donnent aujourd’hui l’exemple de l’industrie et du travail. Je fus surpris de ce qu’il me dit au sujet de ce mécontentement des Indiens. Comment l’accorder avec tout ce que j’avais lu sur la manière dont ils étaient gouvernés ? J’aurais cité les lois des missions comme le modèle d’une administration faite pour donner aux humains le bonheur et la sagesse.

En effet, quand se représente de loin et en général ce gouvernement magique fondé par les seules armes spirituelles, et dont la base reposait sur la charité et le dévouement, bien plus que sur la sévérité des lois, quelle institution plus honorable à l’humanité ! C’est une société qui habite une terre fertile sous un climat fortuné, dont tous les membres sont laborieux et où personne ne travaille pour soi ; les fruits de la culture commune sont rapportés fidèlement dans des magasins publics, d’où l’on distribue à chacun ce qui lui est nécessaire pour sa nourriture, son habillement et l’entretien de son ménage ; l’homme dans la vigueur de l’âge nourrit par son travail l’enfant qui vient de naître ; et lorsque le temps a usé ses forces, il reçoit de ses concitoyens les mêmes services dont il leur a fait l’avance ; les maisons particulières sont commodes, les édifices publics sont beaux ; le culte est uniforme et scrupuleusement suivi ; ce peuple heureux ne connaît ni rangs ni conditions, il est également à l’abri des richesses et de l’indigence.

L’étendue du terrain que renferment les missions peut être de deux cents lieues du nord au sud, de cent cinquante de l’est à l’ouest, et la population y est d’environ trois cent mille âmes ; des forêts immenses y offrent des bois de toute espèce ; de vastes pâturages y contiennent au moins deux millions de têtes de bestiaux ; de belles rivières vivifient l’intérieur de cette contrée, et y appellent partout la circulation et le commerce. Voilà le local : comment y vivait-on ? Le pays était, comme nous l’avons dit, divisé en paroisses, et chaque paroisse régie par deux Jésuites, l’un curé, l’autre son vicaire. La dépense totale pour l’entretien des peuplades entraînait peu de frais, les Indiens étant nourris, habillés, logés du travail de leurs mains ;