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CHAPITRE VII.

Détails sur les Missions du Paraguay, et l’expulsion des Jésuites de cette province.


Tandis que nous hâtions nos dispositions pour sortir de la rivière de la Plata, le marquis de Bucarelli prenait les siennes pour passer sur l’Uruguay. Déjà les Jésuites avaient été arrêtés dans toutes les autres provinces de son département, et ce gouverneur général voulait exécuter en personne dans les missions les ordres iniques du roi Catholique ; mais, avant que de détailler ce que j’ai vu sur la chute du gouvernement des Missions et sur cette proscription, il faut dire un mot sur l’origine de l’établissement des Jésuites dans les Réductions du Paraguay, ses progrès et sa forme. Je le dirai sine ira et studio, quorum causas procul habeo…

C’est en 1580 que l’on voit les Jésuites admis pour la première fois dans ces fertiles régions, où ils ont depuis fondé, sous le règne de Philippe III, les missions fameuses auxquelles on donne en Europe le nom du Paraguay, et plus à propos en Amérique celui de l’Uruguay, rivière sur laquelle elles sont situées. Elles ont toujours été divisées en peuplades, faibles d’abord et en petit nombre, mais que des progrès successifs ont porté jusqu’à celui de trente-sept, savoir, vingt-neuf sur la rive droite de l’Uruguay et huit sur la rive gauche, régies chacune par deux Jésuites en habit de l’Ordre. Deux motifs qu’il est permis aux souverains d’allier lorsque l’un ne nuit pas à l’autre, la religion et l’intérêt, avaient fait désirer aux monarques espagnols la conversion de ces Indiens en les rendant catholiques, on civilisait des hommes sauvages, on se rendait maître d’une contrée vaste et abondante : c’était ouvrir à la métropole une nouvelle source de richesses et acquérir des adorateurs au vrai Dieu. Les Jésuites se chargèrent de remplir ces vues, mais ils représentèrent que, pour faciliter le succès d’une si pénible entreprise, il fallait qu’ils fussent indépendants des gouverneurs de la province, et que même aucun Espagnol ne pénétrât dans le pays.