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et vîmes les Maldonades. Nous avançâmes peu cette journée et la suivante. Nous passâmes en calme presque toute la nuit du 30 au 31, sondant sans cesse. Les courants paraissaient nous entraîner dans le nord-ouest, où nous restait à peu près l’île de Lobos. À une heure et demie après minuit, la sonde ayant donné trente-trois brasses, je jugeai être très près de cette île, et je fis le signal de mouiller. Nous appareillâmes à trois heures et demie et vîmes l’île de Lobos dans le nord-est, environ à deux lieues et demie. Le vent de sud et de sud-est, faible d’abord, se renforça dans la matinée, et nous mouillâmes le 31 après-midi dans la baie de Montevideo. L’Étoile nous avait fait perdre beaucoup de chemin, parce qu’outre l’avantage de marche que nous conservions sur elle, cette flûte, qui, au sortir de Rio-Janeiro, faisait quatre pouces d’eau toutes les heures, après quelques jours de navigation, en fit sept pouces dans le même intervalle de temps ; ce qui ne lui permettait pas de forcer de voiles.

À peine fûmes-nous mouillés, qu’un officier venu à bord de la part du gouverneur de Montevideo pour nous complimenter sur notre arrivée, nous apprit qu’on avait reçu des ordres d’Espagne pour arrêter tous les Jésuites et se saisir de leurs biens ; que le même bâtiment, porteur de ces dépêches, avait amené quarante Pères de la Compagnie destinés aux missions ; que l’ordre avait été exécuté déjà dans les principales maisons, sans trouble ni résistance, et qu’au contraire ces religieux supportaient leur disgrâce avec sagesse et résignation. J’entrerai bientôt dans le détail de cette triste affaire, de laquelle m’ont pu mettre au courant un long séjour à Buenos-Ayres et la confiance dont m’y a honoré le gouverneur général Dom Francisco Bucarelli. Ce général m’a communiqué plusieurs des papiers des Jésuites, et m’a même fait lire la lettre dans laquelle il rendait compte à M. d’Aranda de l’exécution des ordres du roi d’Espagne.

Comme nous devions rester dans la rivière de la Plata jusqu’après la révolution de l’équinoxe, nous prîmes des logements à Montevideo, où nous établîmes aussi nos ouvriers et un hôpital. Ces premiers soins remplis, je me rendis à Buenos-Ayres le 11 août, pour y accélérer la fourniture des vivres qui nous étaient nécessaires, et dont fut