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Il y a de plus deux espèces de plongeons de petite taille. L’une a le dos de couleur cendrée et le ventre blanc ; les plumes du ventre sont si soyeuses, si brillantes et d’un tissu si serré, que nous les prîmes pour le grèbe, dont on fait des manchons précieux : cette espèce est rare. L’autre, plus commune, est toute brune, ayant le ventre un peu plus clair que le dos. Les yeux de ces animaux sont semblables à des rubis. Leur vivacité surprenante augmente encore par l’opposition du cercle de plumes blanches qui les entoure et qui leur a fait donner le nom de plongeons à lunettes. Ils font deux petits, sans doute trop délicats pour souffrir la fraîcheur de l’eau lorsqu’ils n’ont encore que le duvet, car alors la mère les voiture sur son dos. Ces deux espèces n’ont point les pieds palmés à la façon des autres oiseaux d’eau ; leurs doigts séparés sont garnis de chaque côté d’une membrane très forte : en cet état chaque doigt ressemble à une feuille arrondie du côté de l’ongle, d’autant plus qu’il part du doigt des lignes qui vont se terminer à la circonférence des membranes, et que le tout est d’un vert de feuilles sans avoir beaucoup plus d’épaisseur.

Deux espèces d’oiseaux que l’on nomma becs-scies, on ne sait pas pourquoi, ne diffèrent entre elles que par la taille, et quelquefois parce qu’il s’en trouve à ventre brun parmi tous les autres, qui l’ont ordinairement blanc. Le reste du plumage est d’un noir tirant sur le bleu, très foncé ; leur forme et les plumes du ventre, aussi serrées et aussi soyeuses que celles du plongeon blanc, les rapprochent de cette espèce ; ce que l’on n’oserait cependant pas assurer. Ils ont le bec assez long et pointu, et les pieds palmés sans séparation, avec un caractère remarquable, le premier doigt étant le plus long des trois, et la membrane qui les joint se terminant à rien au troisième. Leurs pieds sont couleur de chair. Ces animaux sont de grands destructeurs de poissons. Ils se placent sur les rochers, ils s’y rassemblent par nombreuses familles et y font leur ponte. Comme leur chair est très mangeable, on en fit des tueries de deux ou trois cents, et la grande quantité de leurs œufs offrit encore une ressource dans le besoin. Ils se défiaient si peu des chasseurs, qu’il suffisait d’aller