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d’une espèce d’herbe que l’on nomma improprement glayeuls ; c’est plutôt une sorte de gramen. Elle est du plus beau vert et a plus de six pieds de hauteur. C’est la retraite des lions et des loups marins ; elle nous servait d’abri comme à eux dans nos voyages. En un instant on était logé ; leurs tiges inclinées et réunies formaient un toit, et leur paille sèche un assez bon lit. Ce fut aussi avec cette plante que nous couvrîmes nos maisons ; le pied en est sucré, nourrissant, et préféré à toute autre pâture par les bestiaux.

Les bruyères, les arbustes, et la plante que nous nommâmes gommier, sont après cette grande herbe les seuls objets qu’on distingue dans les campagnes. Tout le reste est surmonté par des herbes menues plus vertes et plus fournies dans les endroits abreuvés. Les arbustes furent d’une grande ressource pour le chauffage ; on les réserva ensuite pour les fours ainsi que la bruyère ; les fruits rouges de celle-ci nous attiraient beaucoup de gibier dans la saison.

Le gommier, plante nouvelle et inconnue en Europe, mérite une description plus étendue. Il est d’un vert de pomme et n’a en rien la figure d’une plante ; on le prendrait plutôt pour une loupe ou excroissance de terre de cette couleur ; il ne laisse voir ni pied, ni branches, ni feuilles. Sa surface, de forme convexe, présente un tissu si serré, qu’on n’y peut rien introduire sans déchirement. Notre premier mouvement était de nous asseoir ou de monter dessus ; sa hauteur n’est guère de plus d’un pied et demi. Il nous portait aussi sûrement qu’une pierre sans être foulé par le poids ; sa largeur s’étend d’une manière disproportionnée à sa forme ; il y a des gommiers qui ont plus de six pieds de diamètre sans en être plus hauts. Leur circonférence n’est régulière que dans les petites plantes, qui représentent assez la moitié d’une sphère ; mais lorsqu’elles se sont accrues, elles sont terminées par des bosses et des creux sans aucune régularité. C’est en plusieurs endroits de leur surface que l’on voit, en gouttes de la grosseur d’un pois, une matière tenace et jaunâtre qui fut d’abord appelée gomme ; mais comme elle ne peut se dissoudre totalement que dans les spiritueux, elle fut appelée gomme résine. Son odeur est forte, assez aromatique, et approche de celle de la téré-