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l’Aigle, et, après une traversée qui n’eut rien de remarquable que d’avoir cherché inutilement l’île Pepys, j’arrivai aux Malouines le 5 janvier 1765. J’y goûtai la satisfaction inexprimable de voir que mes colons avaient joui d’une santé parfaite et qu’ils étaient dans le meilleur état. Un seul avait péri dans une chasse, sans qu’on ait pu savoir par quel accident, attendu qu’il n’était pas accompagné. Ce ne fut même que deux ans après qu’on avait retrouvé son corps. L’hiver n’avait point été rude ; il y avait eu fort peu de neige et point de glace. La chasse et la pêche s’étaient toujours faites avec le plus grand succès. M. de Nerville avait construit une poudrière, un magasin neuf en pierres, l’ancien étant tombé, et rétabli le fort en finissant les fossés et perfectionnant le rempart.

Je me hâtai de débarquer les habitants nouveaux et les provisions de toute espèce destinées à la colonie, de faire de l’eau et du lait ; et après un voyage par terre que j’entrepris pour reconnaître le détroit qui sépare les deux grandes Malouines, je mis à la voile le 2 février, pour aller chercher dans le détroit de Magellan une cargaison de bois assortis. Le 16, étant à la vue du cap des Vierges, nous aperçûmes trois navires, et le lendemain, entrant avec eux dans le détroit, nous fûmes assurés qu’ils étaient anglais. C’étaient ceux du commodore Byron, qui, après être venus reconnaître les îles Malouines, le long desquelles ils avaient été vus par nos pêcheurs, prenaient la route du détroit de Magellan pour entrer dans la mer du sud. Nous les suivîmes jusqu’au port Famine, où ils relâchèrent, et, au mouillage que nous fîmes ensemble sous le cap Grégoire, un des navires anglais s’étant échoué en louvoyant pour gagner ce mouillage, je me fis un devoir de lui envoyer avec la plus grande diligence deux bateaux avec les secours d’usage en pareil cas.

Le 21, je m’amarrai dans une petite baie à laquelle les matelots ont depuis donné mon nom, et, dès le lendemain, nous nous occupâmes à couper des bois de différents échantillons, à équarrir les plus grosses pièces, à tracer dans la forêt différents chemins pour les conduire sur le bord de la mer, à en faire l’embarquement et l’arrimage. Nous levâmes aussi et mîmes à bord, avec