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mer un établissement dans ces îles. Je proposai au ministère de le commencer à mes frais, et secondé par MM. de Nerville et d’Arboulin, l’un mon cousin germain et l’autre mon oncle, je fis sur-le-champ construire et armer à Saint-Malo, par les soins de M. Duclos Guyot, aujourd’hui mon second, l’Aigle de vingt canons et le Sphinx de douze, que je munis de tout ce qui était propre pour une pareille expédition. J’embarquai plusieurs familles acadiennes, espèce d’hommes laborieuse, intelligente, et qui doit être chère à la France par l’inviolable attachement que lui ont prouvé ses honnêtes et fortunés citoyens.

Le 15 septembre 1763, je fis voile de Saint-Malo : M. de Nerville s’était embarqué avec moi sur l’Aigle. Après deux relâches, l’une à l’île Sainte-Catherine sur la côte du Brésil, l’autre à Montevideo, où nous prîmes beaucoup de chevaux et de bêtes à cornes, nous atterrâmes sur les îles Sébaldes le 31 janvier 1764. Je donnai dans un grand enfoncement que forme la côte des Malouines entre sa pointe du nord-ouest et les Sébaldes ; mais, n’y ayant pas aperçu de bon mouillage, je rangeai la côte du nord, et, étant parvenu à l’extrémité orientale des îles, j’entrai le 3 février dans une grande baie qui me parut commode pour y former un premier établissement.

La même illusion qui avait fait croire à Hawkins, à Wood Roger et aux autres, que ces îles étaient couvertes de bois, agit aussi sur mes compagnons de voyage et sur moi. Nous vîmes avec surprise, en débarquant, que ce que nous avions pris pour du bois en cinglant le long de la côte, n’était autre chose que des touffes de jonc fort élevées et fort rapprochées les unes des autres. Leur pied, en se desséchant, reçoit la couleur d’herbe morte jusqu’à une toise environ de hauteur, et de là sort une touffe de jonc d’un beau vert qui couronne ce pied ; de sorte que, dans l’éloignement, les tiges réunies présentent l’aspect d’un bois de médiocre hauteur. Ces joncs ne croissent qu’au bord de la mer et sur les petites îles ; les montagnes de la grande terre sont, dans quelques endroits, couvertes entièrement de bruyères, qu’on prend aisément de loin pour du taillis.

Les diverses courses que j’ordonnai aussitôt, et que j’entrepris