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enceinte, que la contrebande avec elle est impossible s’il n’y a connivence ; les Portugais mêmes qui l’habitent sont obligés de tirer par mer leur subsistance du Brésil. Enfin ce poste est ici à l’Espagne, à l’égard des Portugais, ce que lui est en Europe Gibraltar à l’égard des Anglais.

La ville de Montevideo, établie depuis quarante ans, est située sur la rive septentrionale du fleuve, trente lieues au-dessus de son embouchure, et bâtie sur une presqu’île qui défend des vents d’est une baie d’environ deux lieues de profondeur sur une de largeur à son entrée. À la pointe occidentale de cette baie est un mont isolé, assez élevé, lequel sert de reconnaissance et a donné le nom à la ville ; les autres terres qui l’environnent sont très basses. Le côté de la plaine est défendu par une citadelle : plusieurs batteries protègent le côté de la mer et le mouillage ; il y en a même une au fond de la baie sur une île fort petite appelée l’île aux Français. Le mouillage de Montevideo est sûr, quoiqu’on y essuie quelquefois des pamperos, qui sont des tourmentes de vent de sud-ouest accompagnées d’orages affreux. Il y a peu de fond dans toute la baie ; on y mouille par trois, quatre et cinq brasses d’eau sur une vase très molle, où les plus gros navires marchands s’échouent et font leur lit sans souffrir aucun dommage ; mais les vaisseaux fins s’y arquent facilement et y dépérissent. L’heure des marées n’y est point réglée ; selon le vent qu’il fait, l’eau est haute ou basse. On doit se méfier d’une chaîne de roches qui s’étend quelques encablures au large de la pointe de l’est de cette baie ; la mer y brise, et les gens du pays l’appellent la pointe des Charrettes[1].

Montevideo a un gouverneur particulier, lequel est immédiatement sous les ordres du gouverneur général de la province. Les environs de cette ville sont presque incultes et ne fournissent ni fro-

  1. Avec peu de travail et de dépense, on ferait dans la rivière de Sainte-Lucie un des plus beaux ports du monde. Cette rivière est située du même côté et à huit ou dix lieues dans l’ouest de Montevideo. Il ne s’agirait que de curer un banc de sable d’environ cent pieds d’étendue qui se trouve à l’entrée, et sur lequel il n’y a que dix à onze pieds d’eau. Ensuite on trouve neuf, dix, onze, douze brasses pendant une étendue considérable, en remontant la rivière.