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mes ; c’était le Swallow. J’offris à M. Carteret tous les services qu’on peut se rendre à la mer. Il n’avait besoin de rien ; mais sur ce qu’il me dit qu’on lui avait remis au Cap des lettres pour la France, j’envoyai les chercher à son bord. Il me fit présent d’une flèche qu’il avait eue dans une des îles rencontrées dans son voyage autour du monde, voyage qu’il fut bien loin de nous soupçonner d’avoir fait. Son navire était fort petit, marchait très mal, et quand nous eûmes pris congé de lui, nous le laissâmes comme à l’ancre. Combien il a dû souffrir dans une aussi mauvaise embarcation ! Il y avait huit lieues de différence entre sa longitude estimée et la nôtre ; il se faisait plus à l’ouest de cette quantité.

Nous comptions passer dans l’est des îles Açores, lorsque, le 4 mars dans la matinée, nous eûmes connaissance de l’île Terceira, que nous doublâmes dans la journée en la rangeant de fort près. La vue de cette île, en la supposant bien placée sur le grand plan de M. Bellin, nous donnerait environ soixante-sept lieues d’erreur du côté du ouest dans l’estime de notre route, erreur considérable dans un trajet aussi court que celui de l’Ascension aux Açores. Il est vrai que la position de ces îles en longitude est encore incertaine. Cependant je crois que, dans les parages des îles du cap Vert, il règne des courants très violents. Au reste, il était essentiel de déterminer la longitude des Açores par de bonnes observations astronomiques, et de bien constater la distance des unes aux autres et leurs gisements entre elles. Rien de tout cela n’est juste sur les cartes d’aucune nation. Elles ne diffèrent que par le plus ou moins d’erreur. Cet objet important vient d’être rempli par M. de Fleurieu, enseigne des vaisseaux du roi.

Je corrigeai ma longitude, en quittant Terceira, sur celle qu’assigne à cette île la carte à grand point de M. Bellin. Nous eûmes fond le 13 après-midi, et le 14 au matin la vue d’Ouessant. Comme les vents étaient courts et la marée contraire pour doubler cette île, nous fûmes forcés de prendre la bordée du large ; les vents étaient à ouest grand frais, et la mer fort grosse. Environ à dix heures du matin, dans un grain violent, la vergue de misaine se rompit entre les deux poulies de drisse, et la grande voile fut au même instant deralinguée depuis un point jusqu’à l’autre. Nous mîmes aussitôt à la cape sous la grande voile d’étai, le petit foc et le foc de derrière,