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vaisseaux mouillent pendant l’hiver quand la baie du Cap est interdite. On y trouve les mêmes secours et à tout aussi bon compte qu’au Cap. Il y a par terre huit lieues de mauvais chemin d’un de ces lieux à l’autre.

À peu près à moitié chemin des deux est le canton de Constance, qui produit le fameux vin de ce nom. Ce vignoble, où l’on cultive des plants de muscat d’Espagne, est fort petit, mais il est faux qu’il appartienne à la Compagnie et qu’il soit, comme on le croit ici, entouré de murs et gardé. On le distingue en haut Constance et petit Constance, séparés par une haie et appartenant à deux propriétaires différents. Le vin qui s’y recueille est à peu près égal en qualité, quoique chacun des deux Constances ait ses partisans. Il se fait année commune cent vingt à cent trente barriques de ce vin, dont la Compagnie prend un tiers à un prix tarifé ; le reste se vend aux acheteurs qui se présentent. Le prix actuel est de trente piastres l’alvrame ou baril de soixante-dix bouteilles de vin blanc, trente-cinq piastres l’alvrame de rouge. Mes camarades et moi nous allâmes dîner chez M. de Vanderspie, propriétaire du haut Constance. Il nous fit la meilleure chère du monde, et nous y bûmes beaucoup de son vin, soit en dînant, soit en goûtant des différentes pièces pour faire notre emplette.

Le terroir de Constance, terminé en pente douce, est d’un sable graveleux. La vigne s’y cultive sans échalas ; le cep est taillé à petit bois. Le vin s’y fait en mettant dans la cuve la grappe égrenée. Les fûts pleins se conservent dans un cellier à rez-de-chaussée, dans lequel l’air a une libre circulation. Nous visitâmes en revenant de Constance deux maisons de plaisance qui appartiennent au gouverneur. La plus grande, nommée Newland, a un jardin beaucoup plus beau que celui de la Compagnie du Cap. Nous avons trouvé ce dernier fort inférieur à sa réputation. De longues allées de charmilles très hautes lui donnent l’air d’un jardin de moines ; il est planté de chênes qui y viennent très mal.

Les plantations des Hollandais se sont fort étendues sur toute la côte, et l’abondance y est partout le fruit de la culture, parce que le cultivateur, soumis aux seules lois, y est libre et sûr de sa propriété. Il y a des habitants jusqu’à près de cent cinquante lieues de la capitale ; ils n’ont d’ennemis à craindre que les bêtes féroces, car les