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pluies et l’approche de l’ouragan, qui se fait sentir dans ces îles presque toutes les années. Le 10, j’étais prêt à mettre à la voile ; la pluie et le vent debout ne me le permirent pas. Je ne pus appareiller que le 12 au matin, laissant l’Étoile au moment d’être carénée. Ce bâtiment ne pouvait être en état de sortir avant la fin du mois, et notre jonction était dorénavant inutile. Cette flûte, sortie de l’Île de France à la fin du mois de décembre, est arrivée en France un mois après moi. À midi, je pris mon point de départ par la latitude australe observée de vingt degrés vingt-deux minutes, et par cinquante-quatre degrés quarante minutes de longitude à l’est de Paris.

Le temps fut d’abord très couvert, avec des grains et de la pluie. Nous ne pûmes avoir connaissance de l’île Bourbon. À mesure que nous nous éloignâmes, le temps devint plus beau. Le vent était favorable et frais, mais bientôt notre nouveau grand mât nous causa les mêmes inquiétudes que le premier. Il faisait à la tête un arc si considérable, que je n’osai me servir du grand perroquet ni porter le hunier tout haut.

Depuis le 22 décembre jusqu’au 8 janvier, nous eûmes constamment vent debout, mauvais temps ou calme. Ces vents d’ouest étaient, me disait-on, sans exemple ici dans cette saison. Ils ne nous en molestèrent pas moins quinze jours de suite que nous passâmes à la cape ou à louvoyer avec une très grosse mer. Nous eûmes la connaissance de la côte d’Afrique avant que d’avoir eu la sonde. Lors de la vue de cette terre, que nous prîmes pour le cap des Basses, nous n’avions pas de fond. Le 30, nous trouvâmes soixante-dix-huit brasses et depuis ce jour nous nous entretînmes sur le banc des Aiguilles, avec la vue presque continuelle de la côte. Bientôt nous rencontrâmes plusieurs navires hollandais de la flotte de Batavia. L’avant-coureur en était parti le 20 octobre et la flotte le 26 novembre : les Hollandais étaient encore plus surpris que nous de ces vents d’ouest qui soufflaient ainsi contre saison.

Enfin, le 8 janvier au matin, nous eûmes connaissance du cap False, et bientôt après la vue des terres du cap de Bonne-Espérance. J’observerai qu’à cinq lieues dans l’est-sud-est du cap False il y a une roche sous l’eau fort dangereuse ; qu’à l’est du cap de Bonne-Espérance, est un récif qui s’avance plus d’un tiers de lieue au large, et, qu’au pied du cap même, un rocher met au large à la même distance.