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qui tient à la pointe de la grande terre ; on retrouve ensuite la balise qui est au sud de la petite Cambuis, et pour lors les deux routes se réunissent. La carte particulière que je donne de la sortie de Batavia indique ces deux routes avec exactitude.

Le 18 à deux heures du matin, nous étions à la voile, mais il nous fallait mouiller le soir ; ce ne fut que le 19 après-midi que nous sortîmes du détroit de la Sonde. passant au nord de l’île du Prince. Nous observâmes à midi six degrés trente minutes de latitude australe, et à quatre heures après-midi, étant environ à quatre lieues de la pointe nord-ouest de l’île du Prince, je pris mon point de départ sur la carte de M. d’Aprés par six degrés vingt-et-une minutes de latitude australe et cent deux degrés de longitude orientale du méridien de Paris. Au reste, on peut mouiller partout le long de l’île de Java. Les Hollandais y entretiennent de petits postes de distance en distance, et chacun d’eux a ordre d’envoyer un soldat, à bord des vaisseaux qui passent, avec un registre, sur lequel on prie d’inscrire le nom du vaisseau, d’où il vient et où il va. On met ce qu’on veut sur ce registre ; mais je suis fort éloigné d’en blâmer l’usage, puisque par ce moyen on peut avoir des nouvelles des bâtiments dont souvent on est inquiet, et que d’ailleurs le soldat chargé de présenter ce registre apporte aussi des poules, des tortues et d’autres rafraîchissements qu’il vend à fort bon compte. Il n’y avait plus de scorbut, au moins apparent, à bord de mes vaisseaux ; mais beaucoup de gens y étaient attaqués du flux de sang. Je pris donc le parti de faire route pour l’Île de France sans attendre l’Étoile, et je lui en fis le signal le 20.

Cette route n’eut rien de remarquable que le beau et bon temps qui l’a rendue fort courte. Nous eûmes constamment le vent de sud-est très frais. Nous en avions besoin, car le nombre des malades augmentait chaque jour, les convalescences étaient fort longues, et il se joignit aux flux de sang des fièvres chaudes ; un de mes charpentiers en mourut la nuit du 30 au 31. Ma mâture me causait aussi beaucoup d’inquiétude. Il y avait lieu d’appréhender que le grand mât ne rompit cinq ou six pieds au-dessous du trelingage. Je le fis jumeller, et, pour le soulager, je dégréai le mât de perroquet et tins toujours deux ris dans le grand hunier. Ces précautions retardaient considérablement notre marche ; malgré cela, le dix-huitième jour de notre sortie de Batavia nous eûmes la vue