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et dont je crois les aventures plus compliquées. Il est venu à Macassar à la fin de mars de la même année, ayant perdu presque tout son équipage et son vaisseau étant délabré. Les Hollandais n’ont pas voulu le souffrir à Jompadam, et l’ont renvoyé à Bontain, consentant avec peine à ce qu’il y prît des Maures pour remplacer les hommes qu’il avait perdus ; après deux mois de séjour dans l’île Célèbes, il s’est rendu le 3 juin à Batavia, où il a caréné, et d’où il n’est reparti que le 15 de septembre, c’est-à-dire douze jours seulement avant que nous y arrivassions. M. Carteret a peu parlé ici de son voyage ; il en a dit assez cependant pour qu’on ait su que, dans un passage qu’il nomme le détroit de Saint-Georges, il a eu affaire avec des Indiens dont il montrait les flèches, qui ont blessé plusieurs de ses gens, entre autres son second, lequel est reparti de Batavia sans être guéri.

Il n’y avait pas plus de huit ou dix jours que nous étions à Batavia lorsque les maladies commencèrent à s’y déclarer. De la santé la meilleure en apparence on passait en trois jours au tombeau. Plusieurs de nous furent attaqués de fièvres violentes, et nos malades n’éprouvaient aucun soulagement à l’hôpital. J’accélérai, autant qu’il m’était possible, l’expédition de nos besoins ; mais, notre sabandar étant aussi tombé malade et ne pouvant plus agir, nous éprouvâmes des difficultés et des lenteurs. Ce ne fut que le 16 octobre que je pus être en état de sortir, et j’appareillai pour aller me mouiller en dehors de la rade ; l’Étoile ne devait avoir son biscuit que ce jour-là. Elle ne finit de l’embarquer qu’à la nuit, et dès que le vent le lui permit, elle vint mouiller auprès de nous. Presque tous les officiers de mon bord ou étaient déjà malades, ou ressentaient des dispositions à le devenir. Le nombre des dyssenteries n’avait point diminué dans les équipages, et le séjour prolongé à Batavia eût certainement fait plus de ravages parmi nous que n’avait fait le voyage entier. Notre Taïtien, que l’enthousiasme de tout ce qu’il voyait avait sans doute préservé quelque temps de l’influence de ce climat pernicieux, tomba malade dans les derniers jours, et sa maladie a été fort longue, quoiqu’il ait eu pour les remèdes toute la docilité à laquelle pourrait se dévouer un homme né à Paris ; aussi, quand il parle de Batavia, ne la nomme-t-il que la terre qui tue, enoua maté.