Page:Louis Antoine de Bougainville - Voyage de Bougainville autour du monde (années 1766, 1767, 1768 et 1769), raconté par lui-même, 1889.djvu/287

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’autre monde s’ils y arrivaient décapités et sans caleçons blancs, ils osent croire que le despotisme n’a de droit sur eux que dans celui-ci.

Un autre emploi fort recherché, dont les fonctions sont belles et le revenu considérable, c’est celui de sabandar ou ministre des étrangers. Ils sont deux, le sabandar des chrétiens et celui des païens. Le premier est chargé de tout ce qui regarde les étrangers européens. Le second a le détail de toutes les affaires relatives aux diverses nations de l’Inde, en y comprenant les Chinois. Ceux-ci sont les courtiers de tout le commerce intérieur de Batavia, où leur nombre passe aujourd’hui celui de cent mille. C’est aussi à leur travail et à leurs soins que les marchés de cette grande ville doivent l’abondance qui y règne depuis quelques années. Tel est au reste l’ordre des emplois au service de la Compagnie : assistant, teneur de livres, sous-marchand, marchand, grand marchand, gouverneur. Tous ces grades civils ont un uniforme, et les grades militaires ont une espèce de correspondance avec eux. Par exemple, le major a rang de grand marchand, le capitaine, de sous-marchand, etc. Mais les militaires ne peuvent jamais parvenir aux places de l’administration sans changer d’état. Il est tout simple que dans une Compagnie de commerce le corps militaire n’ait aucune influence. On ne l’y regarde que comme un corps soudoyé, et cette idée est ici d’autant plus juste qu’il n’est entièrement composé que d’étrangers.

La Compagnie possède en propre une portion considérable de l’île de Java. Toute la côte du nord à l’est de Batavia lui appartient. Elle a réuni, depuis plusieurs années, à son domaine l’île Maduré, dont le souverain s’était révolté, et le fils est aujourd’hui gouverneur de cette même île dont son père était roi. Elle a de même profité de la révolte du roi de Balimbuam pour s’approprier cette belle province, qui fait la pointe orientale de Java. Ce prince, frère de l’empereur, honteux d’être soumis à des marchands, et conseillé, dit-on, par les Anglais, qui lui avaient fourni des armes, de la poudre, et même construit un fort, voulut secouer le joug. Il en a coûté deux ans et de grandes dépenses à la Compagnie pour le soumettre, et cette guerre venait d’être terminée deux mois avant que nous arrivassions à Batavia. Les Hollandais avaient eu le désavantage dans une première bataille ; mais, dans une seconde, le prince indien a été pris avec toute sa famille et conduit dans la citadelle de Bata-