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des Chinois, lequel est hors de la ville, ni la police à laquelle ils sont soumis, ni leurs usages, ni tant d’autres choses déjà dites et redites.

On est frappé du luxe établi à Batavia ; la magnificence et le goût qui décorent l’intérieur de presque toutes les maisons, annoncent la richesse des habitants. Ils nous ont cependant dit que cette ville n’était plus à beaucoup près ce qu’elle avait été. Depuis quelques années, la Compagnie y a défendu aux particuliers le commerce d’Inde en Inde, qui était pour eux la source d’une immense circulation de richesses. Je ne juge point ce nouveau règlement de la Compagnie ; j’ignore ce qu’elle gagne à cette prohibition. Je sais seulement que les particuliers attachés à son service ont encore le secret de tirer trente, quarante, cent, jusqu’à deux cent mille livres de revenu d’emplois auxquels est attaché un traitement de quinze cents, trois mille, six mille livres au plus. Or, presque tous les habitants de Batavia sont employés de la Compagnie. Cependant il est sûr qu’aujourd’hui le prix des maisons, à la ville et à la campagne, est plus des deux tiers au-dessous de leur ancienne valeur. Toutefois Batavia sera toujours riche du plus au moins, et par le secret dont nous venons de parler, et parce qu’il est difficile à ceux qui ont fait fortune ici, de la faire repasser en Europe. Il n’y a de moyen d’y envoyer ses fonds que par la Compagnie, qui s’en charge à huit pour cent d’escompte ; mais elle n’en prend que fort peu à la fois à chaque particulier. Ces fonds d’ailleurs ne se peuvent envoyer en fraude, l’espèce d’argent qui circule ici perdant en Europe vingt-huit pour cent. La Compagnie se sert de l’empereur de Java pour faire frapper une monnaie particulière, qui est la monnaie des Indes.

Nulle part dans le monde les états ne sont moins confondus qu’à Batavia ; les rangs y sont assignés à chacun ; des marques extérieures les constatent d’une façon immuable, et la sérieuse étiquette est plus sévère ici qu’elle ne le fut jamais à aucun congrès. La haute Régence, le Conseil de justice, le clergé, les employés de la Compagnie, ses officiers de marine et enfin le militaire, telle y est la gradation des états.

La haute Régence est composée du général, qui y préside, des conseillers des Indes, dont le titre est Edel-heers, du président du Conseil de justice et de l’amiral. Elle s’assemble au château deux fois par semaine. Les conseillers des Indes sont aujourd’hui au nombre de seize, mais ils ne sont pas tous à Batavia. Quelques-uns ont les