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rasade. Au reste, ils me prévinrent que le roi de Button résidait dans ce canton, et je vis bien qu’ils avaient les mœurs de la capitale. Ils l’appellent Sultan, nom qu’ils ont sans doute appris des Arabes en même temps que leur religion. Ce sultan est despote et puissant, si le nombre des sujets fait la puissance, car son île est grande et bien peuplée. Les orencaies, après avoir pris congé de nous, firent une visite à bord de l’Étoile. Ils y burent aussi à la santé de leurs nouveaux amis, et il fallut leur prêter une main secourable pour s’embarquer dans leurs pirogues.

Je leur avais demandé entre deux rasades si leur île produisait des épiceries ; ils me répondirent que non, et je crois volontiers qu’ils ont dit la vérité, en considérant la faiblesse du poste que les Hollandais entretiennent ici. Ce poste est l’assemblage de sept ou huit huttes de bambous, avec une espèce de palissade décorée d’un bâton de pavillon. Là résident pour la Compagnie un sergent et trois hommes. Cette côte, au reste, présente le plus agréable coup d’œil. Elle est partout défrichée et garnie de cases. Les plantations de cocotiers y sont fréquentes. Le terrain s’élève en pente douce et offre partout des enclos cultivés. Le bord de la mer est tout en pêcheries. La côte qui est vis-à-vis de Button n’est ni moins riante ni moins peuplée.

Notre pilote revint aussitôt nous voir dans la matinée, et il m’apporta quelques cocos, les meilleurs que j’eusse encore rencontrés. Il m’avertit que, lorsque le soleil aurait monté, la brise du sud-est serait très forte, et je lui fis boire un grand coup d’eau-de-vie pour la bonne nouvelle. Effectivement nous vîmes toutes les pirogues se retirer vers onze heures. Elles ne voulaient pas se compromettre au large aux approches du vent frais, qui ne manqua pas de souffler, comme nous l’avait annoncé l’Indien. Une brise du sud-est fraîche et vigoureuse nous prit, comme nous courions un bord sur une île à l’ouest de Button ; elle nous permit de gouverner à ouest-sud-ouest, et nous fit faire bon chemin malgré la marée. J’avertirai ici qu’il faut se méfier d’un banc qui s’étend assez au large de cette île dont je viens de parler. Au reste, en louvoyant pendant la matinée, nous sondâmes plusieurs fois, sans trouver fond, à cinquante brasses de ligne.

Nous observâmes, à midi, cinq degrés trente-et-une minutes trente