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Comme nous venions de mouiller, mon canot revint avec le bateau malais. On n’avait pas eu de peine à le déterminer à suivre, et nous y prîmes un Indien qui demanda quatre ducatons (environ quinze francs) pour nous conduire ; ce fut un marché bientôt conclu. Le pilote coucha à bord, et sa pirogue sut l’attendre de l’autre côté de la passe. Il nous dit qu’elle allait s’y rendre par le fond d’une baie voisine de celle près de laquelle nous étions, où il n’y avait qu’un portage fort court pour la pirogue. Au reste, nous eussions pu facilement nous passer du secours de ce pilote ; quelques instants avant que nous mouillassions, le soleil, donnant sur l’entrée du goulet dans un jour plus favorable, nous fit découvrir dans le sud-sud-ouest quatre degrés ouest la pointe de bâbord du débouquement ; mais il faut la deviner ; elle chevauche un rocher à double étage qui fait la pointe de stribord. Quelques-uns de nos messieurs profitèrent du reste du jour pour aller se promener. Ils ne trouvèrent point d’habitations à portée de notre mouillage. Ils fouillèrent aussi le bois dont cette partie est entièrement couverte, sans y trouver aucune production intéressante. Ils rencontrèrent seulement près du rivage un petit sac qui contenait quelques noix muscades sèches.

Le lendemain, je fis virer à deux heures et demie du matin ; il était quatre heures avant que nous fussions sous voiles. À peine ventait-il ; toutefois, remorqués par nos bateaux, nous gagnâmes l’embouchure du passage. La mer était alors toute basse sur les deux rives ; et, comme nous avions éprouvé jusqu’en cet endroit que le flot vient du nord, nous attendions à chaque instant le courant favorable, mais nous étions loin de compte. Le flot y vient du sud, du moins dans cette saison, et j’ignore où sont les limites des deux puissances. Le vent s’était considérablement renforcé et soufflait à poupe. Ce fut en vain qu’avec son secours nous luttâmes une heure et demie contre le courant ; l’Étoile, qu’il fit rétrograder la première, mouilla presque à l’embouchure de la passe à la côte de Button, dans une espèce de coude où la marée fait un retour et n’est pas aussi sensible. À l’aide du vent, je bataillai encore près d’une heure sans désavantage ; mais, le vent ayant abandonné la partie, j’eus bientôt perdu un grand mille, et je mouillai, à une heure après-midi, par trente brasses fond de sable et de corail. Je restai tout appareillé et gouvernant pour soulager mon ancre, qui n’était qu’une ancre à jet très faible.