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On ignore quelle est leur religion ; seulement on dit qu’ils ne sont point Mahométans, car ils élèvent et mangent des cochons. De temps en temps les chefs des Alfouriens viennent visiter le Résident ; ils feraient aussi bien de rester chez eux.

Je ne sais s’il y a eu autrefois des épiceries sur cette île ; en tout cas, il est certain qu’il n’y en a plus aujourd’hui. La Compagnie ne tire de ce poste que des bois d’ébène noirs et blancs, et quelques autres espèces de bois très recherchées pour la menuiserie. Il y a aussi une belle poivrière dont la vue nous a confirmé que le poivrier est commun à la nouvelle Bretagne. Les fruits y sont rares ; des cocos, des bananes, des pamplemousses, quelques limons et citrons, des oranges amères et fort peu d’ananas. Il y croît une fort bonne espèce d’orge, nommée ottong, et le sago borneo, dont on fait une bouillie qui nous a paru détestable. Les bois sont habités par un grand nombre d’oiseaux d’espèces très variées, et dont le plumage est charmant, entre autres des perroquets de la plus grande beauté. On y trouve cette espèce de chat sauvage qui porte ses petits dans une poche placée au bas de son ventre, cette chauve-souris dont les ailes ont une énorme envergure, des serpents monstrueux qui peuvent avaler un mouton, et cet autre serpent, plus dangereux cent fois, qui se tient sur les arbres et se darde dans les yeux des passants qui regardent en l’air. On ne connaît point de remèdes contre la piqûre de ce dernier ; nous en tuâmes deux dans une chasse au cerf. La rivière de Abbo, dont les bords sont presque partout couverts d’arbres touffus, est infestée de crocodiles énormes, qui dévorent bêtes et gens. C’est la nuit qu’ils sortent, et il y a des exemples d’hommes enlevés par eux dans les pirogues. On les empêche d’approcher en portant des torches allumées. Le rivage de Boëro fournit peu de belles coquilles. Ces coquilles précieuses, objet de commerce pour les Hollandais, se trouvent sur la côte de Céram, à Amblaw et à Banda, d’où on les envoie à Batavia. C’est aussi à Amblaw que se trouve le catacoua de la plus belle espèce.

Henri Ouman, Résident de Boëro, y vit en souverain. Il a cent esclaves pour le service de sa maison, et il possède en abondance le nécessaire et l’agréable. Il est sous-marchand, et ce grade est le troisième au service de la Compagnie. C’est un homme né à Batavia, lequel a épousé une créole d’Amboine. Je ne saurais trop me louer