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la plus grande partie des équipages se promener et se divertir. Je fis faire l’eau des navires et les divers transports par des esclaves de la Compagnie, que le Résident nous loua à la journée. L’Étoile profita de ce temps pour garnir les chouquets de ses mâts majeurs, lesquels avaient un jeu dangereux. Nous avions affourché en arrivant ; mais sur ce que les Hollandais nous dirent de la bonté du fond et de la régularité des brises de terre et du large, nous relevâmes notre ancre d’affourche. Effectivement, nous y vîmes les bâtiments hollandais sur une seule ancre.

Nous eûmes pendant notre relâche ici le plus beau temps du monde. Le thermomètre y montait ordinairement à vingt-trois degrés dans la plus grande chaleur du jour ; la brise, du nord-est au sud-est le jour, changeait sur le soir ; elle venait alors de terre, et les nuits étaient fort fraîches. Nous eûmes occasion de connaître l’intérieur de l’île ; on nous permit d’y faire plusieurs chasses de cerfs, par battues, auxquelles nous primes un grand plaisir. Le pays est charmant, entrecoupé de bosquets, de plaines, et de coteaux dont les vallons sont arrosés par de jolies rivières. Les Hollandais y ont apporté les premiers cerfs, qui s’y sont prodigieusement multipliés et dont la chair est excellente. Il y a aussi un grand nombre de sangliers et quelques espèces de gibier à plumes.

On donne à l’île de Boëro ou Burro environ dix-huit lieues de l’est à l’ouest, et treize du nord au sud. Elle était autrefois soumise au roi de Ternate, lequel en tirait tribut. Le lieu principal est Cajeli, situé au fond du golfe de ce nom, dans une plaine marécageuse qui s’étend près de quatre milles entre les rivières Soweill et Abbo. Cette dernière est la plus grande de l’île, et toutefois ses eaux sont fort troubles. Le débarquement est ici fort incommode, surtout de basse mer, pendant laquelle il faut que les bateaux s’arrêtent fort loin de la plage. La loge hollandaise et quatorze habitations d’Indiens, autrefois dispersées en divers endroits de l’île, mais aujourd’hui réunies autour du comptoir, forment le bourg de Cajeli. On y avait d’abord construit un fort en pierres : un accident le fit sauter en 1689, et depuis ce temps on s’y contente d’une enceinte de faibles palissades, garnie de six canons de petit calibre, tant bien que mal en batterie ; c’est ce qu’on appelle le fort de la Défense, et j’ai pris ce nom pour un sobriquet. La garnison, aux ordres du Résident, est composée d’un