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Francisco Bucarely, les mesures nécessaires pour la cession de l’établissement que je devais livrer aux Espagnols. Nous n’y séjournâmes pas longtemps, et je fus de retour à Montevideo le 16 février.

Nous avions fait le voyage de Buenos-Ayres, monsieur le prince de Nassau et moi, en remontant la rivière dans une goélette ; mais, comme pour revenir de même, nous aurions eu le vent debout, nous passâmes la rivière vis-à-vis de Buenos-Ayres, au-dessus de la colonie du Saint-Sacrement, et fîmes par terre le reste de la route jusqu’à Montevideo, où nous avions laissé la frégate. Nous traversâmes ces plaines immenses dans lesquelles on se conduit par le coup d’œil, dirigeant son chemin de manière à ne pas manquer les gués des rivières, chassant devant soi trente ou quarante chevaux, parmi lesquels il faut prendre au lasso son relais, lorsque celui qu’on monte est fatigué, se nourrissant de viande presque crue, et passant les nuits dans des cabanes faites de cuir, où le sommeil est à chaque instant interrompu par les hurlements des tigres qui rôdent aux environs. Je n’oublierai de ma vie la façon dont nous passâmes la rivière de Sainte-Lucie, rivière fort profonde, très rapide et beaucoup plus large que n’est la Seine vis-à-vis des Invalides. On vous fait entrer dans un canot étroit et long, dont un des bords est de moitié plus haut que l’autre ; on force ensuite deux chevaux d’entrer dans l’eau, l’un à tribord, l’autre à bas-bord du canot, et le maître du bac tout nu, précaution fort sage assurément, mais peu propre à rassurer ceux qui ne savent pas nager, soutient de son mieux, au-dessus de la rivière la tête des deux chevaux, dont la besogne alors est de vous passer à la nage de l’autre côté, s’ils en ont la force.

Don Ruis arriva à Montevideo peu de jours après nous. Il y vint en même temps deux goélettes chargées, l’une de bois et de rafraîchissements, l’autre de biscuit et de farine, que nous embarquâmes en remplacement de notre consommation depuis Brest. On avait employé le temps du séjour à Montevideo à calfater le bâtiment, à raccommoder le jeu de voiles qui avait servi pendant la traversée, et