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nuelle de la côte nous avait appris que les courants portaient ici sur le nord-ouest.

Après avoir embarqué nos bateaux, nous tâchâmes de prolonger la terre autant que les vents constants au sud et au sud-sud-ouest voulurent nous le permettre. Nous fûmes obligés de courir plusieurs bords, dans l’intention de passer au vent d’une grande île que nous avions aperçue, au coucher du soleil, dans l’ouest et l’ouest-quart-nord-ouest. L’aube du jour nous surprit encore sous le vent de cette île. Sa côte orientale, qui peut avoir cinq lieues de longueur, court à peu près nord et sud, et à sa pointe méridionale on voit un îlot bas et de peu d’étendue. Entre elle et la terre de la nouvelle Guinée, qui se prolonge ici presque sur le sud-ouest-quart-ouest, il se présentait un vaste passage dont l’ouverture, d’environ huit lieues, gît nord-est et sud-ouest. Le vent en venait, et la marée portait dans le nord-ouest : comment gagner en louvoyant ainsi contre vent et marée ? Je l’essayai jusqu’à neuf heures du matin. Je vis avec douleur que c’était infructueusement, et je pris le parti d’arriver, pour ranger la côte septentrionale de l’île, abandonnant à regret un débouché que je crois très beau, pour se tirer de cette chaîne éternelle d’îles.

Nous eûmes dans cette matinée deux alertes consécutives. La première fois on cria d’en haut qu’on voyait devant nous une longue suite de brisants, et l’on prit aussitôt les amures à l’autre bord. Ces brisants, examinés ensuite plus attentivement, se trouvèrent être des ras d’une marée violente, et nous reprîmes notre route. Une heure après, plusieurs personnes crièrent du gaillard d’avant qu’on voyait le fond sous nous ; l’affaire pressait, mais l’alarme fut heureusement aussi courte qu’elle avait été vive. Nous l’eussions même crue fausse si l’Étoile, qui était dans nos eaux, n’eût aperçu ce même haut fond pendant près de deux minutes. Il lui parut un banc de corail. Presque nord et sud de ce banc, qui peut avoir encore moins d’eau dans quelque partie, il y a une anse de sable sur le bord de laquelle sont quelques cases environnées de cocotiers. La remarque peut d’autant plus servir de point de reconnaissance, que jusque-là nous n’avons vu aucune trace d’habitations sur cette côte. À une heure après-midi, nous doublâmes la pointe du nord-est de la grande île, qui s’étend ensuite sur l’ouest et l’ouest-quart-sud-ouest, près de vingt lieues. Il