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se terminait aussi vers midi par deux ou trois heures de calme. Nous revîmes, le 15 au matin, la plus occidentale des deux îles que nous avions reconnues la veille. Nous découvrîmes en même temps d’autres terres, qui nous parurent îles, depuis le sud-est-quart-sud jusqu’à l’ouest-sud-ouest, terres fort basses, par-dessus lesquelles nous apercevions dans une perspective éloignée les hautes montagnes du continent. La plus élevée, que nous relevâmes à huit heures du matin au sud-sud-est du compas, se détachait des autres, et nous la nommâmes le géant Moulineau. Nous donnâmes le nom de la nymphe Alie à la plus occidentale des îles basses dans le nord-ouest de Moulineau. À dix heures du matin, nous tombâmes dans un ras de marée, où les courants paraissaient porter avec violence sur le nord et nord-nord-est. Ils étaient si vifs, que jusqu’à midi ils nous empêchèrent de gouverner ; et comme ils nous entraînèrent fort au large, il nous devint impossible d’asseoir un jugement précis sur leur véritable direction. L’eau, dans le lit de marée, était couverte de troncs d’arbres flottants, de divers fruits et de goémons : elle y était en même temps si trouble, que nous craignîmes d’être sur un banc ; mais la sonde ne nous donna point de fond à cent brasses. Ce ras de marée semblait indiquer ici ou une grande rivière dans le continent, ou un passage qui couperait les terres de la nouvelle Guinée, passage dont l’ouverture serait presque nord et sud. Suivant deux distances des bords du soleil et de la lune, observées à l’octant par le chevalier du Bouchage et M. Verron, notre longitude, le 15 à midi, était de cent trente-six degrés seize minutes trente secondes à l’est de Paris. Mon estime, suivie depuis la longitude déterminée au port Praslin, en différait de deux degrés quarante-sept minutes. Nous observâmes le même jour un degré dix-sept minutes de latitude australe.

Le 16 et le 17 il fit presque calme ; le peu de vent qui souffla fut variable. Le 16, on ne vit la terre qu’à sept heures du matin, encore ne la vit-on que du haut des mâts, terre extrêmement haute et coupée. Nous perdîmes toute cette journée à attendre l’Étoile, qui, maîtrisée par le courant, ne pouvait pas mettre le cap en route ; et le 17, comme elle était fort éloignée de nous, je fus obligé de virer sur elle pour la rallier ; ce que nous ne fîmes qu’aux approches de la nuit. Elle fut très orageuse, avec un déluge de pluie et des ton-