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sans pouvoir en distinguer les détails. Toutefois nous en vîmes assez pour être convaincus que les marées continuaient à nous enlever une partie du médiocre chemin que nous faisions chaque jour. Je fis alors gouverner au nord-ouest, puis au nord-ouest-quart-ouest, pour éviter un labyrinthe d’îles qui sont semées à l’extrémité septentrionale de la nouvelle Bretagne. Le 4 après-midi, nous reconnûmes distinctement deux îles, que je crois être celles que Dampierre nomme île Matthias et île Orageuse. L’île Matthias, haute et montagneuse, s’étend sur le nord-ouest, huit à neuf lieues. L’autre n’en a pas plus de trois ou quatre, et entre les deux est un îlot. Une île que l’on crut apercevoir le 5 à deux heures du matin dans l’ouest, nous fit reprendre du nord. On ne se trompait pas, et à dix heures la brume, qui jusqu’alors avait été épaisse, s’étant dissipée, nous aperçûmes dans le sud-est-quart-sud cette île, qui est petite et basse. Les marées cessèrent alors de porter sur le sud et sur l’est, ce qui semblait venir de ce que nous avions dépassé la pointe septentrionale de la nouvelle Bretagne, que les Hollandais nomment cap Solomaswer. Nous n’étions plus alors que par zéro degré quarante-et-une minutes de latitude méridionale. Nous avions sondé presque tous les jours sans trouver de fond.

Nous courûmes à ouest jusqu’au 7, avec un assez joli frais et beau temps, sans voir de terre. Le 7 au soir, l’horizon fort embrumé ; m’ayant paru, au coucher du soleil, être un horizon de terre depuis l’ouest jusqu’au ouest-sud-ouest, je me déterminai à tenir pour la nuit la route du sud-ouest-quart-ouest ; nous reprîmes au jour celle du ouest. Nous vîmes dans la matinée, environ à cinq ou six lieues devant nous, une terre basse. Nous gouvernâmes à ouest-quart-sud-ouest et ouest-sud-ouest pour en passer au sud. Nous la rangeâmes environ à une lieue et demie. C’était une île plate, longue d’environ trois lieues, couverte d’arbres, et partagée en plusieurs divisions liées ensemble par des bâtures et des bancs de sable. Il y a sur cette île une grande quantité de cocotiers, et le bord de la mer y est couvert d’un si grand nombre de cases, qu’on peut juger de là qu’elle est extrêmement peuplée. Ces cases sont hautes, presque carrées et bien couvertes. Elles nous parurent plus vastes et plus belles que ne sont ordinairement des cabanes de roseaux, et nous crûmes revoir les maisons de Taïti. On découvrait un grand nombre de pirogues occupées à la pêche tout autour de l’île : aucune ne parut