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gré ou de force, tirer d’un pays habité. Si la pêche n’était pas abondante, on ne devait attendre ici que la sûreté et le strict nécessaire. Il y avait alors tout lieu de craindre que nos malades ne s’y rétablissent pas. À la vérité nous n’en avions pas qui fussent attaqués fortement, mais plusieurs étaient atteints, et s’ils n’amendaient point ici, le progrès du mal ne pouvait plus être que rapide.

Le premier jour, sur les bords d’une petite rivière éloignée de notre camp d’environ un tiers de lieue, on trouva une pirogue comme en dépôt, et deux cabanes. La pirogue était à balancier, fort légère et en bon état. Il y avait à côté les débris de plusieurs feux, de gros coquillages calcinés et des carcasses de têtes d’animaux, que M. de Commerçon nous dit être de sangliers. Il n’y avait pas longtemps que les sauvages étaient venus dans cet endroit, car on trouva dans les cabanes des figues bananes encore fraîches. On crut même entendre des cris d’hommes dans les montagnes ; mais on a depuis vérifié qu’on avait pris pour tels des gémissements de gros ramiers huppés, d’un plumage azur, et qu’on nomme dans les Moluques l’oiseau couronné. Nous fîmes au bord de cette rivière une rencontre plus extraordinaire. Un matelot de mon canot, cherchant des coquilles, y trouva enterré dans le sable un morceau d’une plaque de plomb, sur lequel on lisait ce reste de mots anglais :

HOR’D HERE
ICK MAJESTY’S.

On y voyait encore les traces des clous qui avaient servi à attacher l’inscription, laquelle paraissait être peu ancienne. Les sauvages avaient sans doute arraché la plaque et l’avaient mise en morceaux. Cette rencontre nous engageait à reconnaître soigneusement tous les environs de notre mouillage. Aussi courûmes-nous la côte en dedans de l’île qui couvre la baie ; nous la suivîmes environ deux lieues, et nous aboutîmes à une baie profonde mais peu large, ouverte au sud-ouest, au fond de laquelle nous abordâmes près d’une belle rivière. Quelques arbres sciés ou abattus à coups de hache frappèrent aussitôt nos regards, et nous apprirent que c’était là que