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se détachèrent de la côte et vinrent reconnaître les vaisseaux. Elles s’arrêtèrent à une portée de fusil, et ce ne fut qu’après y avoir passé près d’une heure que nos invitations réitérées les déterminèrent enfin à s’approcher davantage. Quelques bagatelles qu’on leur jeta attachées sur des morceaux de planches achevèrent de leur donner un peu de confiance. Ils accostèrent le navire en montrant des noix de cocos, et criant bouca, bouca, onellé. Ils répétaient sans cesse ces mots, que nous criâmes ensuite comme eux, ce qui parut leur faire plaisir. Ils ne restèrent pas longtemps le long du vaisseau. Ils nous firent signe qu’ils allaient nous chercher des noix de cocos. On applaudit à leur dessein ; mais à peine furent-ils éloignés à vingt pas, qu’un de ces hommes perfides tira une flèche, qui n’atteignit heureusement personne. Ils fuirent ensuite à force de rames : nous étions trop forts pour les punir.

Ces nègres sont entièrement nus. Ils ont les cheveux crépus et courts, les oreilles percées et fort allongées. Plusieurs avaient la laine peinte en rouge, et des taches blanches en différents endroits du corps. Il paraît qu’ils mâchent du bétel, puisque leurs dents sont rouges. Nous avons vu que les habitants de l’île Choiseul en font aussi usage, car on trouva dans leurs pirogues de petits sacs où il y en avait des feuilles, avec de l’arec et de la chaux. On a eu de ceux-ci des arcs longs de six pieds et des flèches armées d’un bois fort dur. Leurs pirogues sont plus petites que celles de l’anse des Guerriers, et nous fûmes surpris de ne trouver aucune ressemblance dans leur construction. Ces dernières ont l’avant et l’arrière peu relevés ; elles sont sans balancier, mais assez larges pour que deux hommes y nagent en couple. Cette île, que nous avons appelée Bouka, paraît être extrêmement peuplée, si l’on en juge par la quantité de cases dont elle est couverte, et par les apparences de culture que nous y avons aperçues. Une belle plaine à mi-côte, toute plantée de cocotiers et d’autres arbres, nous offrait la plus agréable perspective, et je désirais fort trouver un mouillage sur cette côte ; mais le vent contraire et un courant rapide qui portait dans le nord-ouest nous en éloignaient visiblement. Pendant la nuit nous tînmes