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ils trouvèrent fond depuis neuf jusqu’à treize brasses, sable et corail. Ils s’enfoncèrent ensuite dans la baie, et ils y trouvèrent à un quart de lieue en dedans un très bon mouillage sur neuf et douze brasses, fond de sable gris et gravier, à l’abri depuis le sud-est jusqu’au sud-ouest en passant par l’est et le nord. Comme ils étaient occupés à sonder, ils virent tout d’un coup paraître à l’entrée de la baie dix pirogues, sur lesquelles il y avait environ cent cinquante hommes armés d’arcs, de lances et de boucliers. Elles sortaient d’une anse qui renferme une petite rivière, dont les bords sont couverts de cabanes. Ces pirogues s’avancèrent en bon ordre, voguant sur nos bateaux à forces de rames, et lorsqu’elles s’en jugèrent assez près, elles se séparèrent fort lestement en deux bandes pour les envelopper. Les Indiens alors poussèrent des cris affreux, et, saisissant leurs arcs et leurs lances, ils commencèrent une attaque qui devait leur paraître un jeu contre une poignée d’hommes. On fit sur eux une première décharge, qui ne les arrêta point ; ils continuèrent à lancer leurs flèches et leurs sagaies, se couvrant de boucliers, qu’ils croyaient une arme défensive. Une seconde décharge les mit en fuite ; plusieurs se jetèrent à la mer pour gagner la terre à la nage. On leur prit deux pirogues. Elles sont fort longues et bien travaillées ; l’avant et l’arrière sont extrêmement relevés, ce qui sert d’abri contre les flèches, en présentant le bout. Sur le devant d’une de ces pirogues il y avait une tête d’homme sculptée, les yeux étaient de nacre, les oreilles d’écaille de tortue, et la figure ressemblait à un masque garni d’une longue barbe ; les lèvres étaient teintes d’un rouge éclatant. On trouva dans leurs pirogues des arcs, des flèches en grand nombre, des lances, des boucliers, des cocos, et plusieurs autres fruits dont nous ne connaissons pas l’espèce ; de l’arec, divers petits meubles à l’usage de ces Indiens, des filets à mailles très fines, artistement tissus, et une mâchoire d’homme à demi-grillée. Ces insulaires sont noirs et ont les cheveux crépus, qu’ils teignent en blanc, en jaune et en rouge. Leur audace à nous attaquer, l’usage de porter des armes offensives et défensives, leur adresse à s’en servir, prouvent qu’ils sont presque toujours en état de guerre. Au reste,