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l’attaquer : un insulaire même se leva plusieurs fois pour lancer une zagaie ; mais il ne le fit pas, et le canot revint à bord sans guerroyer.

Notre situation, au reste, était assez critique. Nous avions, d’une part, des terres inconnues jusqu’à ce jour depuis le sud jusqu’au nord-nord-ouest par l’est et le nord ; de l’autre, depuis l’ouest-quart-sud-ouest jusqu’au nord-ouest. Malheureusement l’horizon était tellement embrumé depuis le nord-ouest jusqu’au nord-nord-ouest, qu’on n’y voyait pas de ce côté à la distance de deux lieues. C’était toutefois dans cet intervalle que je comptais chercher un passage ; nous étions trop avancés pour reculer. Il est vrai qu’une forte marée qui venait du nord et portait dans le sud-est, nous faisait espérer d’y trouver un débouché. Le fort de la marée se fit sentir depuis quatre heures jusqu’à cinq heures et demie du soir ; les vaisseaux, quoique poussés d’un vent très frais, gouvernaient avec peine. La marée mollit à six heures. Pendant la nuit, nous louvoyâmes du sud au sud-sud-ouest sur un bord, de l’est-nord-est au nord-est sur l’autre. Le temps fut à grains avec beaucoup de pluie.

Le 1er juillet, à six heures du matin, nous nous retrouvâmes au même point où nous étions la veille à l’entrée de la nuit, preuve qu’il y avait eu flux et reflux. Nous gouvernâmes au nord-ouest et nord-ouest-quart-nord. À dix heures, nous donnâmes dans un passage large environ de quatre à cinq lieues entre la côte prolongée jusqu’ici à l’est et les terres occidentales. Une marée très forte qui porte sud-est et nord-ouest, forme au milieu de ce passage un ras qui le traverse, et où la mer s’élève et brise comme s’il y avait des roches à fleur d’eau. Je le nommai ras Denis, du nom de mon maître d’équipage, bon et ancien serviteur du Roi. L’Étoile, qui le passa deux heures après nous et plus dans l’ouest, s’y trouva sur cinq brasses d’eau, fond de roches. La mer y était alors si mauvaise qu’ils furent contraints de fermer les écoutilles. À bord de la frégate, nous y sondâmes par quarante-quatre brasses, fond de sable, gravier, coquilles et corail. La côte de l’est commençait ici à s’abaisser et à tourner au nord. Nous y aperçûmes, étant à peu près au milieu du passage, une jolie