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aperçûmes une petite île dans le nord-nord-est du compas, à cinq ou six lieues de distance, et une autre terre dans le nord-nord-ouest, environ à neuf lieues. Peu après, nous découvrîmes dans nord-est cinq degrés est à quatre ou cinq lieues, une autre petite île que sa ressemblance avec Ouessant nous fit appeler du même nom. Nous continuions notre bordée au nord-est-quart-est, espérant doubler toutes les terres, lorsqu’à onze heures on en découvrit une nouvelle dans l’est-nord-est cinq degrés nord, et des brisants dans l’est-nord-est, qui paraissaient venir joindre Ouessant. Dans le nord-ouest de cet îlot, on voyait une autre chaîne de brisants qui s’allongeait à une demi-lieue. La première île nous semblait être aussi entre deux chaînes de brisants.

Tous les navigateurs qui sont venus dans ces parages avaient toujours redouté de tomber dans le sud de la nouvelle Guinée, et d’y trouver un golfe correspondant à celui de la Carpentarie, d’où il leur eut été ensuite difficile de se relever. En conséquence, ils ont tous gagné de bonne heure la latitude de la nouvelle Bretagne, sur laquelle ils allaient atterrer. Tous ont suivi les mêmes traces ; nous en ouvrions de nouvelles, et il fallait payer l’honneur d’une première découverte. Malheureusement le plus cruel de nos ennemis était à bord, la faim. Je fus obligé de faire une déduction considérable sur la ration de pain et de légumes. Il fallut aussi défendre de manger le cuir dont on enveloppe les vergues, et les autres vieux cuirs, cet aliment pouvant donner de funestes indigestions. Il nous restait une chèvre, compagne fidèle de nos aventures depuis notre sortie des îles Malouines, où nous l’avions prise. Chaque jour elle nous donnait un peu de lait. Les estomacs affamés, dans un instant d’humeur, la condamnèrent à mourir ; je n’ai pu que la plaindre, et le boucher qui la nourrissait depuis si longtemps a arrosé de ses larmes la victime qu’il immolait à notre faim. Un jeune chien pris dans le détroit de Magellan eut le même sort peu de temps après.

Le 17 après-midi, les courants nous avaient été si favorables, que nous avions repris la bordée du nord-nord-est, portant fort au vent d’Ouessant et de ses bâtures ; mais à quatre heures, nous eûmes la