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prendre. Ainsi de toute façon il était temps de s’élever dans le nord, en faisant même prendre de l’est à notre route.

Malheureusement les vents de sud-est nous abandonnèrent ici, et quand ensuite ils revinrent, ce fut pour nous mettre dans la situation la plus critique où nous nous fussions encore trouvés. Depuis le 7, la route ne nous avait valu que le nord-quart-nord-est, lorsque, le 10 au point du jour, on découvrit la terre depuis l’est jusqu’au nord-ouest. Longtemps avant le lever de l’aurore, une odeur délicieuse nous avait annoncé le voisinage de cette terre qui formait un grand golfe ouvert au sud-est. J’ai peu vu de pays dont le coup d’œil fût plus beau. Un terrain bas, partagé en plaines et en bosquets, régnait sur le bord de la mer, et s’élevait ensuite en amphithéâtre jusqu’aux montagnes, dont la cime se perdait dans les nues. On en distinguait trois étages, et la chaîne la plus élevée était à plus de vingt-cinq lieues dans l’intérieur du pays. Le triste état où nous étions réduits ne nous permettait, ni de sacrifier quelque temps à la visite de ce magnifique pays que tout annonçait être fertile et riche, ni de chercher, en faisant route à ouest, un passage au sud de la nouvelle Guinée, qui nous frayât, par le golfe de la Carpentarie, une route nouvelle et courte aux îles Moluques. Rien n’était à la vérité plus problématique que l’existence de ce passage ; on croyait même avoir vu la terre s’étendre jusqu’au ouest-quart-sud-ouest. Il fallait tâcher de sortir au plus tôt, et par le chemin qui semblait ouvert, de ce golfe dans lequel nous étions engagés beaucoup plus même que nous ne le croyions d’abord. C’est où nous attendait le vent de sud-est pour mettre notre patience aux dernières épreuves.

Toute la journée du 10, le calme nous laissa à la merci d’une grosse lame du sud-est qui nous jetait à terre. À quatre heures du soir, nous n’étions pas à plus de trois quarts de lieue d’une petite île basse, à la pointe orientale de laquelle est attachée une bâture qui se prolonge à deux ou trois lieues dans l’est. Nous parvînmes, vers cinq heures, à mettre le cap au large, et la nuit se passa dans cette inquiétante situation, faisant tous nos efforts pour nous élever à l’aide des moindres brises. Le 11 après-midi, nous étions écartés