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Nous passâmes toute la nuit, qui fut très orageuse, à louvoyer à petits bords, et les marées nous portèrent dans le sud beaucoup au-delà de notre estime. Nous eûmes la vue des hautes montagnes toute la journée du 28 jusqu’au soleil couchant, que nous les relevâmes de l’est au nord-nord-est, à vingt ou vingt-cinq lieues de distance.

Le 29 au matin, nous ne vîmes plus de terres ; nous avions gouverné sur l’ouest-nord-est. Je nommai ces terres que nous venions de découvrir, l’archipel des grandes Cyclades. Je croirais volontiers que c’est son extrémité septentrionale que Roggewin a vue sous le onzième parallèle, et qu’il a nommée Thienhoven et Groningue. Pour nous, quand nous y atterrâmes, tout devait nous dire que nous étions à la terre australe du Saint-Esprit. Les apparences semblaient se conformer au récit de Quiros, et ce que nous découvrions chaque jour encourageait nos recherches. Il est bien singulier que précisément par la même latitude et la même longitude où Quiros place sa grande baie de Saint-Jacques et de Saint-Philippe, sur une côte qui paraissait, au premier coup d’œil, celle d’un continent, nous ayons trouvé un passage de largeur égale à celle qu’il donne à l’ouverture de sa baie. Le navigateur espagnol a-t-il mal vu ? A-t-il voulu masquer ses découvertes ? Les géographes avaient-ils deviné en faisant de la terre du Saint-Esprit un même continent avec la nouvelle Guinée ? Pour résoudre ce problème, il fallait suivre encore le même parallèle pendant plus de trois cent cinquante lieues. Je m’y déterminai, quoique l’état et la quantité de nos vivres nous avertissent d’aller promptement chercher quelque établissement européen. On verra qu’il s’en est peu fallu que nous n’ayons été les victimes de notre constance.

M. Verron fit plusieurs observations pendant le mois de mai, et leurs résultats nous prouvaient que, depuis l’île de Taïti, les courants nous avaient beaucoup entraînés dans l’ouest. On expliquerait par là comment tous les navigateurs, qui ont traversé l’océan Pacifique, ont rencontré la Nouvelle-Guinée beaucoup plus tôt qu’ils ne l’auraient dû. Aussi ont-ils donné à cet océan une étendue de l’est à l’ouest beaucoup moindre que celle qu’il a véritablement.