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des minéraux. La route que nous suivions nous conduisait à ce grand enfoncement aperçu la veille dans l’ouest. À midi, nous étions au milieu, et nous y observâmes la latitude australe de quinze degrés quarante minutes. L’ouverture en est de cinq à six lieues ; elle court est-quart-sud-est et ouest-quart-nord-ouest du monde. Quelques hommes se montrèrent à la côte du sud, et d’autres approchèrent du navire dans une pirogue ; mais dès qu’ils en furent à une portée de mousquet, ils cessèrent de s’avancer malgré nos invitations ; ces hommes étaient noirs.

Nous rangeâmes la côte septentrionale à trois quarts de lieue de distance ; elle est peu élevée et couverte d’arbres. Une multitude de nègres se faisaient voir sur le rivage ; il s’en détacha même quelques pirogues, qui n’eurent pas plus de confiance que celle qui avait vogué sur la côte opposée. Après avoir longé celle-ci l’espace de deux à trois lieues, nous vîmes un grand enfoncement qui nous parut former une belle baie à l’ouvert de laquelle étaient deux gros îlots. J’envoyai sur-le-champ nos bateaux armés pour le reconnaître, et pendant ce temps nous restâmes sur les bords à une et deux lieues de terre, sondant souvent sans trouver de fond avec une ligne de deux cents brasses.

Sur les cinq heures, nous entendîmes une salve de mousqueterie qui nous causa beaucoup d’inquiétude ; elle sortait d’un de nos canots qui, malgré mes ordres, s’était séparé des autres, et se trouvait mal à propos dans le cas d’être attaqué par les insulaires, ayant vogué tout à fait à terre. Deux flèches qui lui furent tirées servirent de prétexte à la première décharge. Ensuite il longea la côte, faisant un feu très vif de sa mousqueterie et de ses espingoles, tant à terre que sur trois pirogues qui passèrent à portée et lui décochèrent aussi quelques flèches. Une pointe avancée nous dérobait alors la vue du canot, et son feu continuel me donnait lieu d’appréhender qu’il ne fût attaqué par une armée de pirogues. J’allais envoyer notre chaloupe à son secours, lorsque nous le vîmes doubler seul cette pointe qui nous l’avait caché. Les nègres poussaient des cris affreux dans le bois où ils s’étaient tous jetés et dans lequel on entendait battre