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Sur les neuf heures, la vue d’une côte où l’abordage paraissait commode me détermina à envoyer à terre pour y faire du bois, dont nous avions le plus grand besoin, prendre des connaissances du pays, et tâcher d’en tirer des rafraîchissements pour nos malades. Je fis partir trois bateaux armés sous les ordres du chevalier de Kerué, enseigne de la marine, et nous nous tînmes prêts à leur envoyer du secours et à les soutenir de l’artillerie des vaisseaux, s’il était nécessaire. Nous les vîmes prendre terre sans que les insulaires parussent s’être opposés à leur débarquement. À une heure après-midi, je m’embarquai avec quelques autres personnes dans une yole pour aller les rejoindre. Nous trouvâmes nos gens occupés à couper du bois, et ceux du pays les aidaient à le porter dans les bateaux. L’officier qui commandait la descente me dit qu’à son arrivée, une troupe nombreuse d’insulaires était venue le recevoir sur la plage, l’arc et la flèche à la main, faisant signe qu’on n’abordât pas ; mais que quand, malgré leurs menaces, il avait ordonné de mettre à terre, ils s’étaient reculés à quelques pas ; qu’à mesure que nos gens avançaient, les sauvages se retiraient dans l’attitude de faire partir leurs flèches sans vouloir se laisser approcher ; qu’ayant alors fait arrêter la troupe, et le prince de Nassau ayant demandé à s’avancer vers eux, ils avaient cessé de reculer lorsqu’ils avaient vu un homme seul ; des morceaux d’étoffes rouges qu’on leur distribua achevèrent d’établir une espèce de confiance. Le chevalier de Kerué prit aussitôt poste à l’entrée du bois, mit ses travailleurs à abattre des arbres sous la protection de la troupe, et envoya un détachement chercher des fruits. Insensiblement les insulaires se rapprochèrent plus amiablement en apparence ; on eut même d’eux quelques fruits ; ils ne voulaient ni du fer ni des clous. Ils refusèrent aussi constamment de troquer leurs arcs et leurs massues, seulement ils cédèrent quelques flèches. Au reste, ils étaient toujours restés en grand nombre autour de nos gens sans jamais quitter leurs armes ; ceux mêmes qui n’avaient point d’arcs tenaient des pierres prêtes à lancer. Ils avaient fait entendre qu’ils étaient en guerre avec les habitants d’un canton voisin du leur.