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différence de quatre degrés sept minutes, valant, par le parallèle de vingt-huit degrés deux minutes, environ soixante et douze lieues dont j’étais plus est que d’après ma première appréciation. Cette erreur est fréquente dans la traversée du cap Finistère aux Canaries, et je l’avais éprouvée en d’autres voyages : les courants, par le travers du détroit de Gibraltar, portant à l’est avec rapidité.

Je pris donc un nouveau point de départ le 19 décembre à midi. Notre route n’eut depuis rien de particulier jusqu’à notre atterrage à la rivière de la Plata ; elle ne fournit d’observations qui puissent intéresser les lecteurs, que les suivantes :

1° Le 8 janvier après-midi, nous passâmes la ligne entre les vingt-sept et vingt-huit degrés de longitude.

2° Au nord et au sud de la ligne, nous avons eu presque constamment, par les hauteurs observées, des différences nord assez grandes, quoiqu’il soit plus ordinaire de les y éprouver sud. Nous eûmes lieu d’en soupçonner la cause lorsque, le 18 janvier après-midi, nous traversâmes un banc de frai de poisson, qui s’étendait à perte de vue du sud-ouest-quart-ouest au nord-est-quart-est, sur une ligne d’un blanc rougeâtre, large d’environ deux brasses. Sa rencontre nous avertissait que, depuis plusieurs jours, les courants portaient au nord-est-quart-est, car tous les poissons déposent leurs œufs sur les côtes, d’où les courants les détachent et les entraînent dans leurs lits en haute mer. En observant ces différences nord dont je viens de parler, je n’en avais point inféré qu’elles nécessitassent avec elles des différences ouest ; aussi quand, le 29 janvier au soir, on vit la terre, j’estimais à midi qu’elle me restait à douze ou quinze lieues de distance, ce qui me fit naître la réflexion suivante :

Un grand nombre de navigateurs se sont plaints depuis longtemps, et se plaignent encore, que les cartes marquent les côtes du Brésil beaucoup trop à l’est. Ils se fondent sur ce que, dans leurs différentes traversées, ils ont souvent aperçu ces côtes lorsqu’ils croyaient en être encore à quatre-vingts ou cent lieues. Ils ajoutent qu’ils ont éprouvé plusieurs fois que, dans ces parages, les courants les avaient portés dans le sud-ouest, et ils aiment mieux taxer