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s’arrachent la barbe, un seul la portait un peu longue ; tous en général avaient les cheveux noirs relevés sur la tête. Leurs pirogues, faites avec assez d’art, sont munies d’un balancier ; elles n’ont point l’avant ni l’arrière relevés, mais pontés l’un et l’autre, et sur le milieu de ces ponts il y a une rangée de chevilles terminées en forme de gros clous, mais dont les têtes sont recouvertes de beaux limas d’une blancheur éclatante. La voile de leurs pirogues est composée de plusieurs nattes et triangulaire ; deux de ses côtés sont envergués sur des bâtons, dont l’un sert à l’assujettir le long du mât et l’autre, établi sur la ralingue de dehors, fait l’effet d’une livarde. Ces pirogues nous ont suivis assez au large lorsque nous avons éventé nos voiles ; il en est même venu quelques-unes des deux petites îles, et dans l’une il y avait une femme vieille et laide. Aotourou a témoigné le plus grand mépris pour ces insulaires.

Nous trouvâmes un peu de calme lorsque nous fûmes sous le vent de la grosse île, ce qui me fit renoncer à passer entre elle et les deux petites. Le canal est d’une lieue et demie, et il paraît qu’il y aurait quelque mouillage. À six heures du soir, on découvrit du haut des mâts, dans le ouest-sud-ouest, une nouvelle terre qui se présentait sous l’aspect de trois mondrains isolés. Nous courûmes dans le sud-ouest, et à deux heures après minuit nous revîmes cette terre dans l’ouest deux degrés sud ; les premières îles que nous apercevions encore à la faveur d’un beau clair de lune, nous restaient alors au nord-est.

Le 5 au matin, nous reconnûmes que cette nouvelle terre était une belle île dont nous n’avions la veille aperçu que les sommets. Elle est entrecoupée de montagnes et de vastes plaines couvertes de cocotiers et d’une infinité d’autres arbres. Nous prolongeâmes sa côte méridionale à une ou deux lieues de distance sans y voir aucune apparence de mouillage ; la mer s’y développait avec fureur. Il y a même une bâture dans l’ouest de sa pointe occidentale, laquelle met environ deux lieues au large. Plusieurs relèvements nous ont donné avec exactitude le gisement de cette côte. Un grand nombre de pirogues à la voile, semblables à celles des dernières îles, vinrent