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mettre que ce bâtiment, s’il était nécessaire, relâchât aux Philippines.

J’ai reçu des nouvelles de l’arrivée d’Aotourou à l’Île de France.

On m’a écrit depuis de l’Île de France une lettre datée du mois d’août 1771, dans laquelle on me mande qu’on y armait le bâtiment destiné à ramener Aotourou à Taïti. Puisse-t-il revoir enfin ses compatriotes ! Je vais détailler ce que j’ai cru comprendre sur les mœurs de son pays dans mes conversations avec lui.

J’ai dit que les Taïtiens reconnaissent un Être suprême qu’aucune image factice ne saurait représenter, et des divinités subalternes de deux métiers, comme dit Amyot, représentées par des figures de bois. Ils prient au lever et au coucher du soleil ; mais ils ont en détail un grand nombre de pratiques superstitieuses pour conjurer l’influence des mauvais génies. La comète visible à Paris en 1769, et qu’Aotourou a fort bien remarquée, m’a donné lieu d’apprendre que les Taïtiens connaissent ces astres qui ne reparaissent, m’a-t-il dit, qu’après un grand nombre de lunes. Ils nomment les comètes evetou eave, et n’attachent à leur apparition aucune idée sinistre. Il n’en est pas de même de ces espèces de météores qu’ici le peuple croit être des étoiles qui filent. Les Taïtiens, qui les nomment epao, les croient un génie malfaisant, Eatoua toa.

Au reste, les gens instruits de cette nation sans être astronomes, comme l’ont prétendu nos gazettes, ont une nomenclature des constellations les plus remarquables ; ils en connaissent le mouvement diurne, et ils s’en servent pour diriger leur route en pleine mer d’une île à l’autre. Dans cette navigation, quelquefois de plus de trois cents lieues, ils perdent toute vue de terre. Leur boussole est le cours du soleil pendant le jour et la position des étoiles pendant les nuits, presque toujours belles entre les tropiques.

Aotourou m’a parlé de plusieurs îles, les unes confédérées de Taïti, les autres toujours en guerre avec elle. Les îles amies sont Aimeo, Maoroua, Aca, Oumaitia, et Tapoua-massau. Les ennemies sont Papara, Aiatea, Otaa, Toumaraa, Oopoa. Ces îles sont aussi grandes que Taïti. L’île de Pare, fort abondante en perles, est tan-