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d’instants après ; la frégate alors, venant à l’appel de l’ancre et du grelin du sud-est, ne se trouvait pas à une encâblure de la côte où la mer brisait avec fureur. Plus le péril devenait instant, plus les ressources diminuaient ; les deux ancres, dont les câbles venaient d’être coupés, étaient perdues pour nous ; leurs bouées avaient disparu, soit qu’elles eussent coulé, soit que les Indiens les eussent enlevées dans la nuit. C’était déjà quatre ancres de moins depuis vingt-quatre heures, et cependant, il nous restait encore des pertes à essuyer.

À dix heures du matin le câble neuf que nous avions entalingué sur l’ancre de deux mille sept cents de l’Étoile, laquelle nous tenait dans le sud-est, fut coupé, et la frégate, défendue par un seul grelin, commença à chasser en côte. Nous mouillâmes sous barbe notre grande ancre, la seule qui nous restât en mouillage ; mais de quel secours nous pouvait-elle être ? Nous étions si près des brisants que nous aurions été dessus avant que d’avoir assez filé de câble pour que l’ancre pût bien prendre fond. Nous attendions à chaque instant le triste dénouement de cette aventure, lorsqu’une brise du sud-ouest nous donna l’espérance de pouvoir appareiller. Nos focs furent bientôt hissés ; le vaisseau commençait à prendre de l’air et nous travaillions à faire de la voile pour filer câble et grelin et mettre dehors, mais les vents revinrent presque aussitôt à l’est. Cet intervalle nous avait toujours donné le temps de recevoir à bord le bout du grelin de la seconde ancre à jet de l’Étoile, qu’elle venait d’allonger dans l’est et qui nous sauva pour le moment. Nous virâmes sur les deux grelins et nous nous relevâmes un peu de la côte. Nous envoyâmes alors notre chaloupe à l’Étoile pour l’aider à s’amarrer solidement ; ses ancres étaient heureusement mouillées sur un fond moins perdu de corail que celui sur lequel étaient tombées les nôtres. Lorsque cette opération fut faite, notre chaloupe alla lever par son orin l’ancre de deux mille sept cents ; nous entalinguâmes dessus un autre câble et nous l’allongeâmes dans le nord-est ; nous relevâmes ensuite l’ancre à jet de l’Étoile, que nous lui rendîmes. Dans ces deux jours M. de la Giraudais, commandant de cette flûte, a eu la plus grande