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Dans les premiers jours du mois de novembre 1766, je me rendis à Nantes, où la Boudeuse venait d’être construite, et où M. Duclos Guyot, capitaine de brûlot, mon second, en faisait l’armement. Le 5 de ce mois, nous descendîmes de Painbeuf à Mindin pour achever de l’armer, et le 15 nous fîmes voile de cette rade pour nous rendre à la rivière de la Plata. Je devais y trouver les deux frégates espagnoles la Esmeralda et la Liebre, sorties du Ferrol le 17 octobre, et dont le commandant était chargé de recevoir les îles Malouines au nom de Sa Majesté Catholique.

Le 17, nous essuyâmes un coup de vent violent de la partie du ouest-sud-ouest au nord-ouest. Nous courûmes toute la journée sous les basses voiles, notre vergue d’artimon amenée. À minuit, la force du vent nous obligea de carguer la grand-voile, et nous frappâmes en même temps une fausse écoute sur la misaine. Malgré cette précaution, le point sous le vent fut bientôt emporté et nous courûmes à sec. Le vent et la mer augmentaient toujours, et quoique notre gréement fût neuf, et que nous eussions ridé la veille nos haubans et galaubans, en peu de temps ils mollirent assez pour ne laisser presque aucun appui à notre mâture. Nous y remédiâmes, autant qu’il était possible, en raidissant le trélingage et en saisissant fortement tous les haubans ensemble avec une manœuvre. Il eût été malgré cela difficile que les mâts résistassent aux roulis violents que nous éprouvions. À quatre heures et demie du matin, notre petit mât de hune rompit à la moitié environ de sa hauteur. Nous amenâmes alors les basses vergues pour soulager la mâture. Le grand mât de hune résista jusqu’à huit heures du matin ; mais alors, le jeu étonnant qu’il avait nous montrant l’impossibilité de le sauver et nous donnant lieu de craindre qu’il ne fît rompre le grand mât, nous coupâmes ces galaubans de bas-bord. Peu après il rompit dans le chouquet du grand mât, dont il fit consentir le ton, et tomba à la mer du côté de tribord, entraînant dans sa chute la vergue du grand hunier. Ce dernier événement nous mettait dans l’impossibilité de continuer notre route, et je pris le parti de relâcher à Brest, où nous entrâmes par le passage de l’Iroise le 21 novembre.