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noires, lequel était suspendu au toit, et deux figures de bois que nous prîmes pour des idoles. L’une, c’était le dieu, était debout contre un des piliers ; la déesse était vis-à-vis, inclinée le long du mur, qu’elle surpassait en hauteur, et attachée aux roseaux qui le forment. Ces figures mal faites et sans proportions avaient environ trois pieds de haut, mais elles tenaient à un piédestal cylindrique, vidé dans l’intérieur et sculpté à jour. Il était fait en forme de tour et pouvait avoir six à sept pieds de hauteur sur environ un pied de diamètre ; le tout était d’un bois noir fort dur.

Le chef nous proposa ensuite de nous asseoir sur l’herbe au dehors de sa maison, où il fit apporter des fruits, du poisson grillé et de l’eau ; pendant le repas, il envoya chercher quelques pièces d’étoffes et de grands colliers faits d’osier et recouverts de plumes noires et de dents de requins. Leur forme ne ressemble pas mal à celle de ces fraises immenses qu’on portait du temps de François Ier. Il en passa un au cou du chevalier d’Oraison, l’autre au mien, et distribua les étoffes. Nous étions prêts à retourner à bord, lorsque le chevalier de Suzannet s’aperçut qu’il lui manquait un pistolet, qu’on avait adroitement volé dans sa poche. Nous le fîmes entendre au chef, qui sur-le-champ voulut fouiller tous les gens qui nous environnaient ; il en maltraita même quelques-uns. Nous arrêtâmes ses recherches, en tâchant seulement de lui faire comprendre que l’auteur du vol pourrait être la victime de sa friponnerie et que son larcin lui donnerait la mort.

Le chef et tout le peuple nous accompagnèrent jusqu’à nos bateaux. Prêts à y arriver, nous fûmes arrêtés par un insulaire d’une belle figure qui, couché sous un arbre, nous offrit de partager le gazon qui lui servait de siège. Nous l’acceptâmes ; cet homme alors se pencha vers nous, et, aux accords d’une flûte dans laquelle un autre Indien soufflait avec le nez, il nous chanta lentement une chanson harmonieuse : scène charmante et digne du pinceau de Boucher. Quatre insulaires vinrent avec confiance souper et coucher à bord. Nous leur fîmes entendre flûte, basse et violon, et nous leur donnâmes un feu d’artifice composé de fusées et de serpenteaux. Ce spectacle leur causa une surprise mêlée d’effroi.