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le temps inconstant par grains et orages et l’obscurité nous forcèrent à passer encore cette nuit à louvoyer. Le 25 au matin, nous pûmes accoster la terre, que nous reconnûmes être une île très basse, laquelle s’étendait du sud-est au nord-ouest, dans une étendue d’environ vingt-quatre milles. Jusqu’au 27, nous continuâmes à naviguer au milieu d’îles basses et en partie noyées, dont nous examinâmes encore quatre, toutes de la même nature, toutes inabordables, et qui ne méritaient pas que nous perdissions notre temps à les visiter. J’ai nommé l’Archipel dangereux cet amas d’îles dont nous avons vu onze, et qui sont probablement en plus grand nombre. La navigation est extrêmement périlleuse au milieu de ces terres basses, hérissées de brisants et semées d’écueils, ou il convient d’user, la nuit surtout, des plus grandes précautions.

Je me déterminai à faire reprendre du sud à la route, afin de sortir de ces parages dangereux. Effectivement, dès le 28, nous cessâmes de voir des terres. Quiros a le premier découvert en 1606 la partie méridionale de cette chaîne d’îles, qui s’étend sur l’ouest-nord-ouest et dans laquelle l’amiral Roggevin s’est trouvé engagé en 1722 vers le quinzième parallèle ; il la nomma le Labyrinthe.

Le thermomètre dans ce mois a été constamment de dix-neuf à vingt degrés, même entre les terres. À la fin du mois, nous avons eu cinq jours de vent d’ouest avec des grains et des orages qui se succédaient presque sans interruption. La pluie fut continuelle ; aussi le scorbut se déclara-t-il sur huit ou dix matelots. L’humidité est un des principes les plus actifs de cette maladie. On leur donnait tous les jours à chacun une pinte de limonade faite avec la poudre de faciot, et nous avons eu dans ce voyage les plus grandes obligations à cette poudre. J’avais aussi commencé le 3 mars à me servir de la cucurbite de M. Poissonnier, et nous avons continué jusqu’à la Nouvelle Bretagne à employer l’eau ainsi dessalée pour la soupe, la cuisson de la viande et celle des légumes. Le supplément d’eau qu’elle nous procurait nous a été de la plus grande ressource dans cette longue traversée. On allumait le feu à cinq heures du soir et on l’éteignait à cinq ou six heures du matin, et chaque nuit nous faisions