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une ligne de cent vingt brasses. Une barre sur laquelle la mer brisait avec furie bordait toute la côte, et bientôt nous reconnûmes que cette île n’était formée que par deux langues de terre fort étroites qui se rejoignent dans la partie du nord-ouest, et qui laissent une ouverture au sud-est entre leur pointe. Le milieu de cette île est ainsi occupé par la mer dans toute sa longueur, qui est dix à douze lieues sud-est et nord-ouest ; en sorte que la terre présente une espèce de fer à cheval très allongé dont l’ouverture est au sud-est.

Les deux langues de terre ont si peu de largeur que nous apercevions la mer au-delà de celle du nord. Elles ne paraissaient être composées que par des dunes de sable entrecoupées de terrains bas dénués d’arbres et de verdure. Les dunes plus élevées sont couvertes de cocotiers et d’autres arbres plus petits et très touffus. Nous aperçûmes après midi des pirogues qui naviguaient dans l’espèce de lac que cette île embrasse, les unes à la voile, les autres avec des pagaies. Les sauvages qui les conduisaient étaient nus. Le soir nous vîmes un assez grand nombre d’insulaires dispersés le long de la côte. Ils nous parurent avoir aussi à la main de ces longues lances dont nous menaçaient les habitants de la première île ; nous n’avions encore trouvé aucun lieu où nos canots pussent aborder. Partout la mer écumait avec une égale force. La nuit suspendit nos recherches ; nous la passâmes à louvoyer sous les huniers ; et n’ayant découvert le 24 au matin aucun lieu d’abordage, nous poursuivîmes notre route et renonçâmes à cette île inaccessible, que je nommai, à cause de sa forme, l’île de la Harpe. Au reste, cette terre si extraordinaire est-elle naissante ? est-elle en ruines ? Comment est-elle peuplée ? Ses habitants sont grands et bien proportionnés. J’admire leur courage, s’ils vivent sans inquiétude sur ces bandes de sable qu’un ouragan peut d’un moment à l’autre ensevelir dans les eaux. Il est vrai qu’ils ont des pirogues avec lesquelles ils peuvent se transplanter dans les îles voisines et que leur bagage est peu considérable.

Le même jour à cinq heures du soir, on aperçut une nouvelle terre à la distance de sept à huit lieues : l’incertitude de sa position,