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congélation ; il monta ensuite successivement, et lorsque nous courûmes sur les parallèles de vingt-sept à vingt-quatre, il variait de dix-sept à dix-neuf degrés.

Il y eut sur la frégate, dès que nous fûmes sortis du détroit, des maux de gorge presque épidémiques. Comme on les attribuait aux eaux neigeuses du détroit, je fis mettre tous les jours dans le charnier une pinte de vinaigre et des boulets rouges. Heureusement ces maux de gorge cédèrent aux plus simples remèdes, et, à la fin de février, aucun homme n’était encore sur les cadres. Nous avions seulement quatre matelots tachés du scorbut. On eut dans ce temps une pêche abondante de bonites et de grandes oreilles ; pendant huit ou dix jours, on en prit assez pour donner un repas aux deux équipages.

Nous courûmes, pendant le mois de mars, le parallèle des premières terres et îles qui sont marquées sur la carte de M. Bellin sous le nom d’îles de Quiros. Le 21, nous prîmes un thon, dans l’estomac duquel on trouva, non encore digérés, quelques petits poissons dont les espèces ne s’éloignent jamais des côtes. C’était un indice du voisinage de quelques terres. Effectivement le 22, à six heures du matin, on eut en même temps connaissance de quatre îlots dans le sud-sud-est cinq degrés est et d’une petite île qui nous restait à quatre lieues dans l’ouest. Je nommai les quatre îlots les quatre Facardins ; et comme ils étaient trop au vent, je fis courir sur la petite île qui était devant nous. À mesure que nous l’approchâmes, nous découvrîmes qu’elle est bordée d’une plage de sable très unie, et que tout l’intérieur est couvert de bois touffus, au-dessus desquels s’élèvent les tiges fécondes des cocotiers. La mer brisait assez au large au nord et au sud, et une grosse lame qui battait toute la côte de l’est nous défendait l’accès de l’île dans cette partie. Cependant la verdure charmait nos yeux et les cocotiers nous offraient partout leurs fruits et leur ombre sur un gazon émaillé de fleurs ; des milliers d’oiseaux voltigeaient autour du rivage et semblaient annoncer une côte poissonneuse ; on soupirait après la descente. Nous crûmes qu’elle serait plus facile dans la partie occidentale, et nous sui-