Page:Louis Antoine de Bougainville - Voyage de Bougainville autour du monde (années 1766, 1767, 1768 et 1769), raconté par lui-même, 1889.djvu/144

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

coucher du soleil, toutes voiles hautes, afin de doubler les douze Apôtres. Nous eûmes assez longtemps la crainte de n’en pas venir à bout, et d’être forcés à passer la nuit dans le détroit, ce qui nous y eût pu retenir encore plus d’un jour : mais vers six heures du soir, les bordées adonnèrent ; à sept heures, le cap des Piliers était doublé : à huit heures, nous étions entièrement dégagés des terres et un bon vent de nord nous faisait avancer à pleines voiles dans la mer occidentale. Nous fîmes alors un relèvement d’où je pris mon point de départ par… cinquante-deux degrés cinquante minutes de latitude australe… et soixante-dix-neuf degrés neuf minutes de longitude occidentale de Paris.

C’est ainsi qu’après avoir essuyé pendant vingt-six jours au port Galant des temps constamment mauvais et contraires, trente-six heures d’un bon vent, tel que jamais nous n’eussions osé l’espérer, ont suffi pour nous amener dans la mer Pacifique ; exemple, que je crois être unique, d’une navigation sans mouillage depuis le port Galant jusqu’au débouquement.

J’estime la longueur entière du détroit, depuis le cap des Vierges jusqu’au cap des Piliers, d’environ cent quatorze lieues. Nous avons employé cinquante-deux jours à les faire. Je répéterai ici que depuis le cap des Vierges jusqu’au cap Noir, nous avons observé constamment que le flot porte dans l’est, et le jusant ou l’Èbe dans l’ouest, et que les marées y sont très fortes ; qu’elles ne sont pas à beaucoup près aussi rapides depuis le cap Noir jusqu’au port Galant, et que leur cours y est irrégulier ; qu’enfin, depuis le port Galant jusqu’au cap Quade, les courants sont violents ; que nous ne les avons pas trouvés fort sensibles depuis ce cap jusqu’à celui des Piliers ; mais que, dans toute cette partie depuis le port Galant, les eaux sont assujetties à la même loi qui les meut depuis le cap des Vierges, c’est-à-dire que le flot y court vers la mer de l’est, et le jusant vers celle de l’ouest. Je dois en même temps avertir que cette assertion sur la direction des marées dans le détroit de Magellan est absolument contraire à ce que les autres navigateurs disent y avoir observé à cet égard. Ce ne serait cependant pas le cas d’avoir chacun son avis.