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cap Holland et de visiter les mouillages qui pourraient se trouver dans cette étendue. À notre départ il faisait calme et le plus beau temps du monde. Une heure après il se leva une petite brise du nord-ouest, et sur-le-champ le vent sauta au sud-ouest, grand frais. Nous luttâmes contre ce vent contraire pendant trois heures, nageant à l’abri de la côte, et nous gagnâmes avec peine l’embouchure d’une petite rivière qui se décharge dans une anse de sable protégée par la tête orientale du cap Forward. Nous y relâchâmes, comptant que le mauvais temps ne serait pas de longue durée. L’espérance que nous en eûmes ne servit qu’à nous faire percer de pluie et transir de froid. Nous avions construit dans le bois une cabane de branches d’arbres pour y passer la nuit moins à découvert. Ce sont les palais des naturels de ce pays ; mais il nous manquait leur habitude d’y loger. Le froid et l’humidité nous chassèrent de notre gîte, et nous fûmes contraints de nous réfugier auprès d’un grand feu que nous nous appliquâmes à entretenir, tâchant de nous défendre de la pluie avec la voile du petit canot. La nuit fut affreuse, le vent et la pluie redoublèrent, et ne nous laissèrent d’autre parti à prendre que de rebrousser chemin au point du jour. Nous arrivâmes à la frégate à huit heures du matin, trop heureux d’avoir gagné cet asile ; car bientôt le temps devint si mauvais, qu’il eût été impossible de nous mettre en route pour revenir. Il y eut pendant deux jours une tempête décidée, et la neige recouvrit toutes les montagnes. Cependant nous étions dans le cœur de l’été, et le soleil était près de dix-huit heures sur l’horizon.

Quelques jours après, j’entrepris avec plus de succès une nouvelle course pour visiter une partie des terres de Feu, et pour y chercher un pont vis-à-vis le cap Forward ; je me proposais de repasser ensuite au cap Holland et de reconnaître la côte depuis ce cap jusqu’à la baie Française, ce que nous n’avions pu faire dans la première tentative. Je fis armer d’espingoles et de fusils la chaloupe de la Boudeuse et le grand canot de l’Étoile, et le 27 à quatre heures du matin, je partis du bord avec MM. de Bournand, d’Oraison et le prince de Nassau. Nous mîmes à la voile à la pointe occidentale de