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Nous employâmes quelques jours à embarquer à bord de la Boudeuse tous les vivres qu’elle pouvait contenir, à recalfater ses hauts, opération que l’absence de ses calfats, nécessaires à l’Étoile, n’avait pas permis de faire plus tôt ; à raccommoder la chaloupe de l’Étoile, à faire couper l’herbe pour nos bestiaux et à déblayer tout ce que nous avions à terre. La journée du 10 se passa à guinder nos mâts de hune, hisser les basses vergues et tenir nos agrès ; nous pouvions appareiller le même jour si nous n’eussions pas été échoués. Le 11, la mer ayant monté, les bâtiments flottèrent, et nous allâmes mouiller à la tête de la rade, où on est toujours à flot. Les deux jours suivants, le gros temps ne nous permit pas de faire voile, mais ce délai ne fut pas en pure perte. Il arriva de Buenos-Ayres une goélette chargée de farine, et nous y en prîmes soixante quintaux, qu’on trouva moyen de loger encore dans les navires. Nous y avions, toute compensation faite, des vivres pour dix mois : il est vrai que la plus grande partie des boissons était en eau-de-vie. Les équipages jouissaient de la meilleure santé ; le long séjour qu’ils venaient de faire dans la rivière de la Plata, pendant lequel un tiers des matelots couchait alternativement à terre, et la viande fraîche dont ils y furent toujours nourris, les avaient préparés aux fatigues et aux misères de toute espèce dont la longue carrière allait s’ouvrir. Je fus obligé de laisser à Montevideo le maître pilote, le maître charpentier, le maître armurier et un officier marinier de ma frégate, auxquels l’âge et des infirmités incurables ne permettaient pas d’entreprendre le voyage. Il y déserta aussi, malgré tous nos soins, douze soldats ou matelots des deux navires. J’avais pris à la vérité aux îles Malouines quelques-uns des matelots qui y étaient engagés pour la pêche, ainsi qu’un ingénieur, un officier de navire marchand et un chirurgien ; en sorte que les vaisseaux avaient autant de monde qu’à notre départ d’Europe, et il y avait déjà un an que nous étions sortis de la rivière de Nantes.

Le 14 novembre, à quatre heures et demie du matin, les vents étant au nord, joli frais, nous appareillâmes de Montevideo. À huit heures et demie, nous étions nord et sud de l’île de Flores, les cou-