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— Eh bien ? fit-il. Vous plaignez-vous aussi ? Car je n’entendrai votre père que s’il réclame en votre nom.

— Oh sire, parlez-lui vous-même afin que je ne sois point battue. Je suis trop émue cette semaine pour me taire deux jours de suite et je ne serai honteuse de rien devant vous qui êtes si juste. Hier soir j’étais allée dans la montagne chez ma sœur, avec un broc de lait pour son petit enfant. Elle m’avait beaucoup parlé des choses qui lui font la vie douce et qui me manquent tristement pendant mes longues nuits. Je revenais donc par les bois, les joues peut-être un peu rouges et le cœur bien éprouvé, quand j’ai rencontré sous les saules un chevrier de mon âge qui paraissait tout triste, lui aussi, d’être seul. Sire, il sortait du bain, il était si joli, si propre, si doux de toute sa personne… il a dû voir dans mes yeux que vraiment je le trouvais gentil. Les hommes s’imaginent toujours qu’ils nous attaquent ; et pourtant ils ne s’approchent guère de celles qui oublient de les regarder : si l’on nous prend, même par violence, c’est après avoir lu en nous que cela ne nous serait pas désagréable… Oh ! pour moi, je vous le jure, je ne l’ai pas fait exprès ! Je ne voulais pas qu’il me touchât. Ou du moins… je croyais ne pas vouloir. Mais