Page:Louÿs - Douze douzains de dialogues ou Petites scènes amoureuses, 1995.djvu/63

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
61

III

COIN DE RUE

« Ah ! Quelle chierie de métier !

— Qu’est-ce qu’on t’a fait ?

— On m’a fait que j’en ai basta de me monter du blanc dans la bouche à six fois l’heure. Avec les michés de Paris, c’est toujours la même chanson. “Allez ! embrasse-la-moi… j’aime pas baiser, j’aime mieux une plume.” Ma parole, je sais pas pourquoi c’est faire que j’ai un con.

— Pour pisser. Mes clients c’est la même chose. “Baiser ? macache ; suce-moi un coup.” Et y en a pas un sur douze qu’a la politesse de vous bouffer le cul pour la peine.

— Ma petite, tu me croiras si tu veux, mais aujourd’hui samedi, j’en ai fait onze de pantes, eh bien, sur onze hommes, onze plumes. Ah ! tu sais, la onzième pine qui m’a pissé dans la bouche, j’ai cru que j’allais dégobiller.

— Là ! là ! je te crois que c’est dégueulasse. Et tout le monde n’a pas le foutre bon.

— Mais bordel de nom de Dieu, j’ai seize ans, nom de Dieu de merde ! avec quoi que je turbinerai quand ça sera que j’en aurai cinquante ? »