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connais trop bien : donc je le connais mal. Interroge Phrasilas, qui, l’ayant peu lu, le jugera sans erreur.

— Eh bien, qu’en pense Phrasilas ?

— C’est un écrivain admirable, dit le petit homme.

— Comment l’entends-tu ?

— En ce sens que tous les écrivains, Timon, sont admirables en quelque chose, comme tous les paysages et toutes les âmes. Je ne saurais préférer à la plaine la plus terne le spectacle même de la mer. Ainsi je ne saurais classer dans l’ordre de mes sympathies un traité de Cicéron, une ode de Pindare et une lettre de Chrysis, même si je connaissais le style de notre excellente amie. Je suis satisfait quand je referme un livre en emportant le souvenir d’une ligne qui m’ait fait penser. Jusqu’ici, tous ceux que j’ai ouverts contenaient cette ligne-là. Mais aucun ne m’a donné la seconde. Peut-être chacun de nous n’a-t-il qu’une seule chose à dire dans sa vie, et ceux qui ont tenté de parler plus longtemps furent de grands ambitieux. Combien je regrette davantage le silence irréparable des millions d’âmes qui se sont tues.